Portrait – Johanna Goldschmidt et Laure-Elisabeth Bourdaud par Caroline Oustlant

Johanna Goldschmidt et Laure-Elisabeth Bourdaud

Co-scénaristes

« On aime les femmes du quotidien, on aime les mettre en scène, ce sont déjà des vraies héroïnes ! »

 

Quatorze ans que Johanna Goldschmidt, 36 ans, et Laure-Elisabeth Bourdaud, 37 ans, travaillent ensemble. Co-scénaristes, elles partagent cette conviction d’avoir un rôle social à jouer.

Résolument féministes, elles sont attentives à la représentation des femmes dans la société et dans leurs scénarios, qu’elles mixent à des thématiques sociales comme l’exclusion, le harcèlement, l’immigration… Les deux jeunes femmes n’agissent pas qu’avec des mots, elles s’impliquent dès qu’elles le peuvent pour faire bouger les choses, comme Johanna qui est bénévole auprès des mineurs réfugiés.

Le 3 octobre 2017, Johanna et Laure-Elisabeth participaient à la table ronde « Quelles héroïnes pour les programmes jeunesse » organisée par Les Femmes s’Animent. Retour sur leur parcours.

La rencontre…

Grenoble, septembre 2004. C’est le jour de la rentrée à l’école de journalisme EJDG. Les étudiants qui répondent présents à l’appel doivent donner leur choix de spécialisation pour cette dernière année de maîtrise. Faute d’avoir trouvé son binôme, Johanna est prête à s’embarquer en radio, elle qui voulait faire du journalisme pour la télévision. Mais la vie réserve parfois de belles surprises. Et la surprise, c’est Laure-Elisabeth Bourdaud. Dans la liste, Bourdaud c’est avant Goldschmidt. Nouvelle dans la promo, Laure-Elisabeth choisit la télé et « moi, je choisis Laure-Elisabeth ! » annonce amusée Johanna. Elles ne se connaissent pas, mais entre elles, le courant passe immédiatement !

Elles passent beaucoup de temps ensemble cette année-là, notamment pour réaliser leur mémoire, un documentaire de 12 minutes, dont le sujet « Contraception : qui choisit ? » leur est inspiré d’un constat : dans l’immense majorité des cas, les gynécologues refusent de poser un stérilet aux femmes qui n’ont pas eu d’enfants et les réorientent systématiquement vers la pilule. Elles ont alors voulu savoir de façon plus générale qui choisit en matière de contraception ? La femme, le médecin, le laboratoire, la pression sociale, le conjoint ? « À l’époque, c’était vraiment pilule, pilule, pilule, d’autres contraceptifs existaient, mais n’étaient pas du tout mis en avant, note Laure-Elisabeth. Notre question est toujours d’actualité, le  lobby pharmaceutique est fort. Malheureusement, le message est brouillé, d’autant que la pilule, c’est un symbole, celui de la libération de la femme ».

Les deux étudiantes se découvrent aussi de nombreux points communs. Grandes lectrices et sériephiles, elles sont issues de la génération Twin Peaks, X-Files, Buffy, Urgences, Les Simpson, Daria… Ont dévoré les créations de David E. Kelley, Donald P. Bellissario et bien d’autres. Elles adorent les univers globaux qui immergent totalement le lecteur. Ensemble, elles parlent narration et décortiquent les rouages scénaristiques. « Mais à cette époque, on ne s’autorise pas du tout à penser qu’on pourrait être scénaristes. C’est plus un sujet de conversation », avoue Johanna.

Scénaristes ? T’es sérieuse !

Après Grenoble, Johanna s’installe à Los Angeles, « la ville où tout le monde est comédien et le reste scénariste ! », et suit des cours de scénario à UCLA. Ce qu’elle aime dans le journalisme, trouver un sujet, choisir un angle pour le traiter, elle le retrouve dans le scénario. Il s’agit là d’incarner un message, de le mettre en scène, mais avec la possibilité de pouvoir prendre des libertés avec la réalité, « tu n’as pas la responsabilité de trahir ou non la parole que quelqu’un t’a confiée ». À son retour à Paris, Johanna intègre le master Cinéma, Télévision et Nouveaux Médias de la Sorbonne et enchaîne directement chez TF1 à la programmation.

De son côté, Laure-Elisabeth s’inscrit au master Littérature pour la jeunesse à l’Université du Maine au Mans pour étudier la littérature pour les enfants et les adolescents. « Une autre de mes marottes ! » indique-t-elle. Et elle commence à travailler comme pigiste sur ses territoires de prédilection : info à France 3 Côte d’Azur, culture chez Bayard, pour les magazines J’aime Lire, J’aime Lire Max, Je Bouquine, Okapi et Muze, consacré à la culture au féminin. Elle fait également des remplacements pour des magazines féminins où elle traite de la culture et du high-tech (Maxi, Marie France…).

À TF1, Johanna visionne des quantités de programmes, apprend à en détecter le potentiel, à déterminer la cible… Elle voit du bon et du moins bon, et convainc Laure-Elisabeth de mettre quelques-unes de leurs envies de scénarios par écrit ! « Pauvres petites innocentes », rigole Johanna a posteriori. Car si elles ont des idées, elles ne savent pas à qui les présenter ! « On sait que ça va être un marathon, il faut à la fois acquérir la connaissance du milieu et la technicité du métier, mais l’envie est bien là » ajoute Laure-Elisabeth. Tout en continuant à travailler, les deux jeunes femmes vont développer des projets personnels en fiction.

Embarquée de nouveau chez TF1 pour un remplacement « congé maternité », Johanna travaille cette fois aux achats. C’est à cette période que son profil est repéré par l’équipe TFou. En 2010, TFou la recommande à Studio 100 qui développe la série « Maya l’abeille » pour TF1 donc et la ZDF. Johanna, qui parle couramment l’allemand, rejoint Studio 100 et découvre l’animation. Après deux ans à la coordination d’écriture, elle propose avec Laure-Elisabeth plusieurs pitchs pour « Maya l’abeille », qui sont acceptés ! En parallèle, Johanna est embauchée par Telfrance pour une direction littéraire en fiction.

Un bébé pour l’une, un tour du monde pour l’autre et l’animation entre les deux !

Mais l’idée germe dans la tête de Johanna que le duo pourrait bien se lancer dans l’écriture. À cette époque, Laure-Elisabeth approuve l’idée, mais a du mal à lâcher ses piges en journalisme. « Johanna était sûre qu’il fallait que l’on consacre tout notre temps au scénario. Moi, j’avais du mal à me dire que j’allais transformer l’essai sachant que je n’avais pas fait d’école de scénario », se rappelle Laure-Elisabeth. « Mais c’est aussi à ce moment-là que je commence à chroniquer en tant que journaliste des dessins animés, notamment pour les pages La télé allumée de Télérama. Je me suis dit que je ne pourrais pas faire les deux… » Un choix s’imposait !

projet de série « Jaz & Melvin » © Eddine Noël

Et puis le duo se voit proposer de développer un long métrage d’animation à partir d’une grosse licence. Un engagement qui leur permet d’envisager l’avenir plus sereinement. Elles se lancent, donc ! C’est aussi l’année où Laure-Elisabeth est enceinte. Elles travaillent d’arrache-pied pour tenir les délais. Mais le projet de film s’arrête à l’étape du synopsis, faute d’un accord commercial entre l’ayant droit et la production. Les deux scénaristes qui découvrent le secteur n’avaient pas envisagé ça. Elles revoient leurs plannings, acceptent d’autres commandes, mais sans la même tranquillité pour l’année à venir… Elles décrochent heureusement le développement de la nouvelle série « Petit Ours Brun » pour Bayard jeunesse animation. « C’est un détail, ou pas, mais je n’avais pas le droit à un congé maternité. Mes revenus étaient trop dispersés entre l’auto-entrepreneuriat pour quelques commandes en communication, le salariat en tant que journaliste et les droits d’auteur. Je me suis adaptée… J’ai battu Rachida Dati je crois, avec mes trois jours de pause ! », ironise Laure-Elisabeth.

Quatre mois plus tard, en 2015, Johanna part faire le tour du monde pendant un an, un voyage prévu de longue date. Le duo travaille dès lors à distance, décalages horaires compris. Cela donne lieu à des scènes un peu épiques où l’une tape à l’ordinateur un nouveau-né dans les bras, quand l’autre Skype entre deux pirogues !

Un bébé et un tour du monde plus tard, en plus des commandes, elles ont également initié plusieurs projets personnels en fiction et en animation. Tout ce que fabriquent les deux co-auteures se nourrit et les choses décollent. Désormais, elles sont scénaristes !

Depuis en animation, elles ont signé à quatre mains des scénarios pour les séries « Tib et Tatoum », « Zip Zip » (Go-N), « Nos voisins les pirates » (Cyber Group Studios), « La famille Blaireau-Renard » (Dargaud Média)…

Femmes, scénaristes et engagées

Quand on leur demande si le fait d’être une femme scénariste dans l’animation change la donne par rapport aux scénaristes masculins, nos deux amies témoignent de petites phrases entendues qui les ont fait bondir : « Les filles sont plus à l’aise avec le preschool » ou encore « Pour écrire pour les enfants, il faut avoir soi-même un enfant »… Laure-Elisabeth s’insurge « nous en animation, on est plus action aventure pour les 7-12. On aime bien le sitcom aussi… Mais surtout, on estime que c’est en pensant à l’enfant que nous étions, que l’on trouve la justesse pour écrire ». Par rapport à l’âge, elle déplore qu’on donne aux femmes l’idée qu’elles sont périssables en tant que scénaristes, plus qu’aux hommes en tout cas. Elle ajoute « on veut lutter contre ça et même prouver que l’expérience du scénario décuple le talent. » Johanna, elle, note qu’elles ont été plusieurs fois infantilisées avec des remarques machistes et paternalistes.

Alors quand sont lancés en 2016 les deux appels à projets, celui de TFou d’Animation « Filles et garçons, tous à fond » sur la mixité et l’égalité fille-garçon, et celui de France Télévisions qui cherche un récit initiatique d’une héroïne contemporaine pour les 6-10 ans, Johanna et Laure-Elisabeth répondent présentes. Une bonne occasion d’exprimer leurs désirs de sortir des stéréotypes de genre, de défendre la diversité et d’affirmer leurs positions féministes.

Elles sont les heureuses lauréates du prix 2016 TFou d’Animation avec leur scénario « 1 chambre pour 2 » réalisé en 2D par Gabrielle Sibieude et Mathieu Gouriou et produit par Tant Mieux Prod où « pour évoquer ces chemins de tous les possibles que nous souhaitons aux enfants, nous avons puisé dans ce qui nous faisait rêver à l’âge de Liv et Sam, nos deux petits héros. Et nous avons pensé à ce lieu magique où malgré ses quatre murs, l’horizon semble infini : une chambre d’enfant ! ».

Leur projet « Moules-Frites » est un des trois retenu parmi les 64 projets reçus par France Télévisions. « Moules-Frites », c’est l’histoire de Noée, une fille de 9 ans, qui vient rejoindre sa mère installée depuis peu sur l’île bretonne de Benac’h où elle a trouvé un emploi de serveuse dans un restaurant. Quand elle arrive, Noée découvre que tous les enfants de l’île se connaissent depuis toujours, qu’ils ont une vie plutôt facile où l’argent n’est pas un problème et qu’ils font tous de la voile. Et ça, ça l’attire, Noée ! Sauf que sa mère n’a pas les moyens de l’inscrire au club de voile…

Avec « Moules-Frites », Laure-Elisabeth et Johanna mettent en scène une héroïne confrontée à la honte sociale. Celle qu’on surnomme « Moules-Frites » réussira-t-elle à surmonter sa différence, trouvera-t-elle la force en elle de se battre pour son désir et s’autorisera-t-elle à briser le plafond de verre ? C’est tout l’enjeu de ce 26 minutes que l’on a hâte de découvrir !

Quand on leur fait la remarque que leur héroïne aurait très bien pu être un héros, elles répondent que « Oui bien sûr. Noée rencontre peut-être un peu plus d’obstacles, et encore. La différence, c’est le traitement de la relation mère-fille qui n’est pas la même que celle d’une mère avec son fils ». Avec leur héroïne, elles veulent montrer aux filles qu’elles peuvent s’émanciper, prendre leur vie en main, et s’emparer de leur liberté.

En ce moment, Laure-Elisabeth et Johanna travaillent des projets personnels et développent « Splat & Harry » adapté des albums de Rob Scotton pour Just Kids. Une série upper preschool qui se déroule dans un univers de chats et pour laquelle nos deux jeunes femmes n’hésitent pas à imprimer leur patte sur une joyeuse bande de personnages excentriques et mixtes.

Que ce soit pour les séries de commandes ou leurs projets personnels, à destination des enfants ou des adultes, en animation tout comme en fiction, Laure-Elisabeth et Johanna souhaitent mettre plus de personnages féminins au cœur des histoires et varier au maximum les modèles proposés… Comme les jeunes héros de leur projet de 52×13’ « Jaz & Melvin », deux jeunes détectives freaks et bohème, série qu’elles développent en collaboration avec l’auteur graphique Eddine Noël. Elles désirent défendre leur point de vue de femmes sur les femmes et sur les hommes aussi, là où la plupart du temps, notamment en fiction, c’est le point de vue des hommes qui prédomine. Et Johanna de conclure « On aime les femmes du quotidien, on aime les mettre en scène, ce sont déjà des vraies héroïnes ! »

Caroline Oustlant