Félicie Haymoz, directrice artistique – par Maud Chougui
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Félicie Haymoz, son prénom à lui seul sonne déjà comme une histoire. Du coup avant même de la rencontrer je m’imaginais à quoi elle pouvait bien ressembler ! Et bien pas du tout à ce que j’avais en tête. Félicie ressemble à la petite fille des Triplés : un carré blond, deux grands yeux bleus, un paysage nordique comme un lac en été.
Au premier abord Félicie a l’air plus sage que son double animé mais il ne faut jamais se fier au premier abord car sous cette blondeur diaphane le lac est bien plus téméraire qu’il n’y parait.
Félicie a grandi en Suisse, a fait ses classes à L’académie royale des beaux-arts de Bruxelles et a passé pas mal de temps à New York. On va y revenir mais commençons par le commencement.
Enfant, Félicie voulait devenir bibliothécaire ! D’abord car elle adorait lire, ensuite car elle avait l’impression que c’était « le métier le plus relax du monde » et surtout car aller à la bibliothèque c’était le moment le plus « chouette » de sa semaine. Félicie utilise beaucoup l’adjectif « chouette », ça tombe bien moi aussi. « Chouette » ça imprime immédiatement de la joie, une façon espiègle, bienveillante et douce de contempler le monde et les autres. Et puis « chouette » c’est aussi le nom d’un oiseau et comme le monde de Félicie est peuplé d’animaux, m’est avis que cet adjectif trouve parfaitement sa place, et dans son lexique, et dans son bestiaire.
Félicie dessine depuis qu’elle est toute petite et on peut tous remercier sa marraine car c’est elle qui la première lui a offert un carnet, celui où elle a raconté sa première histoire, celle de Natacha la grenouille enchantée. Natacha la grenouille enchantée avait un look super classe, deux chiens et vivait une grande histoire d’amour avec un lapin. Après Félicie a aussi créé une histoire de chasse aux fantômes inspirée de ses propres lectures et de sa passion pour les grenouilles (avec une héroïne encore plus classe qui chassait les fantômes en talons de 12). Déjà des histoires d’animaux anthropomorphisés. Wes Anderson ne le savait pas encore mais il n’avait qu’à bien se tenir…
J’ignore si vous croyez au destin mais moi si. Et quand on écoute l’histoire de Félicie, on se dit qu’il avait disposé des petits cailloux sur sa route pour la mener jusqu’à Wes Anderson. A 10 ans, Félicie fait un stage auprès de Jean Bindschedler, le fondateur du musée de la Marionnette de Fribourg. L’idée c’est que les mômes qui suivent ce stage créent leurs marionnettes, leur inventent une histoire et jouent leur spectacle devant leurs familles. Félicie va créer « un Roi grenouille avec une cape en velours rouge ». « C’était une très chouette expérience. C’était un tout petit théâtre avec une très jolie ambiance, avec ce rideau rouge c’était un peu magique. »
Plus tard, la sœur de Félicie travaillera dans ce musée pour recenser les marionnettes de collection privées qu’ils reçoivent du monde entier. « La salle où ils mettaient toutes ces marionnettes contre les murs c’était assez impressionnant car t’allumais la lumière et y’avait les néons qui faisaient clic clic clic et tu voyais toutes ces marionnettes pendues qui te regardaient, c’était flippant ! » raconte Félicie dans un éclat de rire.
Félicie était super bonne à l’école alors tout naturellement ses parents l’imaginaient faire un métier bac + 13. Son père l’aurait bien vue Notaire mais Félicie avait d’autres rêves en tête. Bac en poche et valise à la main, elle a quitté la Suisse pour Bruxelles afin d’intégrer L’académie royale des beaux-arts pour se former à l’illustration. Mais pas que ! Car là-bas elle a pu explorer d’autres terrains de jeux : la photo, la gravure, la sérigraphie, le modèle vivant. La plupart des étudiants la jouaient dilettantes du coup elle a pu profiter de tous les ateliers. Et vous savez quoi ? Elle a trouvé ça « chouette » ! Parce ce que ce qui semble le plus motiver Félicie dans la vie c’est la curiosité : observer les gens, s’essayer à des arts ou des techniques inexplorés, faire des rencontres… Et c’est cette curiosité qui va lui faire découvrir, presque par hasard, le métier de chara designer. Parce qu’elle va s’apercevoir que ce qui l’intéresse le plus c’est de dessiner des personnages, d’imaginer des costumes qui racontent leur personnalité (quand je vous disais que Natacha la grenouille était trop stylée). Le reste, le truc qui fait office de décor derrière, c’est pas ce qui la captive.
Félicie va donc étudier l’illustration pour rapidement s’apercevoir que bosser toute seule c’est pas son truc non plus. Au tête-à-tête elle préfère l’équipe, l’échange et l’énergie qui s’en dégage. C’est pourquoi elle va passer de l’illustration à l’animation ! Pour autant Félicie adore se nicher dans un coin pour observer les gens et s’en inspirer. Et si vous lui demandez son meilleur spot pour contempler le monde, peinarde, elle vous parlera du métro New Yorkais, dégaines de personnalités hétéroclites, curieuses et intrigantes.
Mais revenons à l’esprit de groupe. Le groupe porte avec lui un cadre, une dead line imposée et le partage des responsabilités. Félicie se dit « procrastinatrice » quand il s’agit de ses propres projets et considère que son travail : « c’est de donner des choix et d’ouvrir des portes ». Et elle se réjouit de ne pas avoir à faire ces choix. Et là je pense à une très chouette chanson d’Emilie Loizeau « Je ne sais pas choisir » qui lui plairait peut-être et dont il faudrait que je lui parle.
Ce qui la motive à aller sur un projet c’est moins le scénario que le regard et l’énergie des artistes et producteurs qui le portent. Cela peut également être le choix du studio qui va fabriquer les marionnettes inspirées de ses personnages. Et quand on commence par collaborer sur Max & Co de Samuel et Frédéric Guillaume avec Mackinnon & Saunders, que Félicie définit comme « les meilleurs fabricateurs de marionnettes » (Tim Burton pensant surement la même chose puisqu’il leur a confié celles de Mars Attacks !) forcément la barre est haute ! Félicie visite leur atelier et participe à la fabrication des marionnettes : « J’aime les projets où je peux collaborer avec les gens qui fabriquent. Tout ce qui me permet de comprendre comment ça marche techniquement m’aide à être une meilleure designer. » Je ne sais pas si vous avez vu le film mais moi oui, et depuis je pense la même chose que Félicie et Tim Burton.
Et là vous vous dîtes sûrement : Ok mais il arrive quand Wes Anderson ? Car moi quand on m’a proposé de faire le portrait de Félicie et que j’ai découvert qu’elle avait créé le chara design des personnages du Fantastic Mister Fox, ben j’ai été vraiment épatée. Bon je vous raconte comment ça s’est passé !
L’équipe de Mackinnon & Saunders est approchée par Wes Anderson qui cherche quelqu’un pour créer les marionnettes du Fantastic Mister Fox. Et comme cette équipe a adoré bosser avec Félicie, elle donne son nom au producteur de Wes, qui appelle Félicie. Mais comme on parle quand même de Wes Anderson, Félicie croit d’abord à une blague ! Une fois la méprise passée, elle commence à flipper car elle adore le livre de Roald Dahl, n’est pas la plus expérimentée du casting, était en train de glander tranquille à Bruxelles, adore dessiner des renards mais ne possède pas beaucoup plus d’infos que ça sur le projet et rêve néanmoins de faire le film ! Parfois la vie ressemble à un bon scénario et Félicie va le remporter ce casting.
Sa carrière est lancée et excusez du peu, pas avec n’importe quels trampolines ! Deux chouettes long métrages. Cette fulgurance lui apporte la légitimité, néanmoins son éducation Suisse la poussera toujours à faire preuve d’une grande humilité face au succès. La collaboration avec Wes Anderson va se poursuivre puisqu’après avoir dessiné le bestiaire anthropomorphe du Fantastic Mister Fox, Félicie créera les personnages humains de Isle of dogs. Elle est aussi la créatrice des personnages de Yétili (Darjeeling prod) et plus récemment a également imaginé ceux de I am your mother de Madgalena Osinska (Aardman animation).
Bref elle ne manque pas de chouettes projets ! Du coup je lui ai demandé si parfois elle avait l’angoisse de la page blanche et elle m’a fait une réponse aussi drôle que jolie : « Non pas de la page blanche, l’angoisse de la page remplie de trucs que je trouve pas bien. » Et si Félicie trouve ça pas bien, elle peut s’acharner. Du coup elle m’explique en se marrant qu’elle est un peu devenue ses parents, à qui elle reprochait de ne pas avoir de vie en dehors du travail. Mais son homme et son chat sont patients donc à ce jour aucun des deux n’a porté plainte.
Néanmoins quand ta périphérie devient ton centre, comprenez quand tu dessinais peinarde Natacha la grenouille enchantée et qu’après Wes t’appelle : comment conserver la même légèreté et la même envie de dessiner ? Félicie décrit son rapport au dessin en trois temps : petite le dessin lui permettait d’exprimer ce qu’elle avait en tête, ado c’était une manière de passer le temps en classe (en dessinant ses profs notamment) et de s’intégrer dans un groupe, maintenant c’est son boulot ! Elle dit : « J’aimerais avoir une pause de job pour que le dessin redevienne plus un plaisir parce que j’aime ce que je fais, j’adore dessiner des perso mais j’ai moins ce besoin de dessiner en dehors parce que je passe déjà toute la journée sur mon ordi. Maintenant je trouve plus de plaisir avec des choses comme la feutrine, la céramique ou le tricot que le dessin car c’est moins lié à mon travail. Du coup c’est plus gai, c’est plus léger. »
Je vous parlerai de ces figurines en feutrine tout à l’heure parce que c’est quelque chose !
Dans tous les cas, ce qui reste pour Félicie une source d’énergie et de créativité c’est de partir à l’aventure sur des projets différents et de faire de nouvelles rencontres. Les débuts d’un projet sont ce qui l’enthousiasme le plus car c’est le moment de la recherche. Ses sources d’inspiration sont multiples. Elle peut partir d’un mood board, d’un acteur à qui le personnage doit ressembler, de plantes, de textures, de sculptures, ou de l’observation des gens de son entourage. Sur la phase de recherche, Félicie travaille en musique, avec des playlists conçues pour le projet ou des BO de films. C’est ce qu’elle définit comme « une dimension temporelle favorable au dessin (…) dessiner sans musique ce serait presque stressant ». Et ça lui vient de l’enfance puisque ses parents musiciens écoutaient de l’opéra quand elle dessinait Natacha la grenouille enchantée. Félicie piochait dans leur collection et choisissait les morceaux en fonction des pochettes de disque qui l’intriguaient le plus. « J’adorais Aida, les trucs de Purcell… » et de conclure en se poilant : « les trucs un peu tragiques avec des héroïnes tristes. » Pour la mise en couleur de ses personnages en revanche, comme elle n’est plus en recherche d’idées, elle écoute des podcasts car « quand quelqu’un te raconte une histoire tu peux dessiner tranquillement ». « Des trucs féministes (Un podcast à soi) des trucs de crime (Rencontre avec Monsieur X) ou qui font peur (Spooked) et aussi un podcast de Cerno (L’anti-enquête) dont je suis fan absolue ».
Quand je lui demande si elle préfère dessiner les gentils ou les méchants ? Elle me répond que « les héros sont souvent un peu plus neutres, plus pâles, c’est pas des perso hauts en couleur avec lesquels tu peux autant t’amuser ou aller dans les extrêmes qui sont plus chouettes à imaginer. » Alors quand Félicie amorce le travail avec un réalisateur pour définir le style du film, idéalement, elle lui propose de travailler en parallèle « un héros mignon et un personnage un peu plus dark, aux proportions plus étranges pour avoir l’échelle de tout le projet ».
Aujourd’hui, Félicie sculpte aussi en feutrine car « c’est une matière agréable à travailler ». Et très chouette à regarder aussi car Madame tête d’ail et ses fesses en gousses sont tellement cinématographiques qu’on rêverait de les voir dans un long métrage. Félicie rêverait aussi de bosser pour le théâtre ou l’opéra en créant des costumes qui racontent des personnages. Et comme Les parapluies de Cherbourg est un de ses films préférés, elle collaborerait bien à une comédie musicale. Alors Damien Chazelle si tu lis ce portrait, tu sais ce qu’il te reste à faire ! Parce que pour Jacques Demy c’est cuit.
Il y peu de temps, la SACD a remis à Félicie le prix de l’animation et ça lui a semblé surprenant car elle n’est pas animatrice. Mais quand Virginie Jallot, la présidente de la SACD, lui a expliqué que justement, c’était super important qu’on décerne ce prix à un artiste qui est dans la partie graphique de l’animation, Félicie a été « super touchée » et elle a trouvé ça « chouette ». Parce que parfois, même avec ce parcours de dingue, Félicie a le syndrome de l’imposteur (oui je sais, vous aussi vous trouvez ça ballot).
Quand je lui ai demandé quel conseil elle pourrait donner à quelqu’un qui débuterait dans le métier, elle m’a répondu qu’en donnant des cours elle avait réalisé un truc : « Donner un conseil qui correspond à tout le monde c’est compliqué car les gens ont des forces ou des faiblesses tellement différentes que ce qui vaut pour l’un ne vaut pas pour l’autre. » Donc jeune padawan, si tu lis ce portrait le seul conseil que te donne Félicie c’est : « Stay weird ! »
Et un conseil d’une fille dont le prénom signifie heureux, croyez-moi, c’est un chouette conseil.
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Making of Max & Co : https://www.dailymotion.com/video/x4whl0
Bande annonce Fantastic Mr Fox : https://www.youtube.com/watch?v=ipUj8dELx4U
Bande annonce Isle of dog : https://www.youtube.com/watch?v=M4vVGeC07Uk
Podcasts : https://www.arteradio.com/emission/un_podcast_soi/1092
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/rendez-vous-avec-x
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