Annick Teninge et Laurent Pouvaret pour La Poudrière – par Sophie Caron

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Annick Teninge par
© François Bertin

 

Annick Teninge dirige l’école de cinéma d’animation La Poudrière, à Valence dans la Drôme depuis 20 ans et Laurent Pouvaret encadre en tant que directeur des études la formation des étudiants depuis l’origine en 2000.

Quand nous avons proposé à Annick de l’interviewer pour la série de portraits de l’association « Les Femmes s’Animent », elle a tout de suite suggéré que l’interview se fasse avec Laurent car leur travail à la Poudrière est indissociable : les 23 promotions de réalisatrices et réalisateurs sorties de l’école en témoignent, c’est un duo de choc !

 

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Laurent Pouvaret par
© Reza Riahi

 

Sophie Caron (S:) Pouvez-vous décrire La Poudrière juste en quelques lignes ? … et vos parcours ?

Annick (A:) L’École propose une spécialisation en réalisation de films d’animation. C’est une école de cinéma qui permet de concevoir et de réaliser des films d’animation. Elle s’adresse à des personnes qui ont déjà des bases techniques en animation, et une certaine maturité; ce que demande le métier de réalisateur ou de réalisatrice. Il n’y a pas de prérequis en termes de diplômes. Ce qui compte, c’est la personnalité artistique et la motivation.

Laurent (L:) J’avais travaillé 10 ans chez Folimage et j’étais en résidence à la Casa Velázquez en tant qu’artiste réalisateur quand Jacque-Rémy Girerd m’a appelé pour me parler de son projet de créer une vraie école de cinéma d’animation, sur le mode du compagnonnage. J’ai tout de suite accepté car c’était ce qui m’avait manqué quand j’étais moi-même sorti de l’école. Une école qui permettrait d’expérimenter tous les aspects de la réalisation, y compris le montage, la direction d’acteurs…. 

A : Au départ, je ne pensais pas forcément travailler dans le secteur de l’animation. J’étais intéressée par la culture et par l’international. J’ai découvert l’animation à Annecy où j’ai été adjointe au directeur du Festival. J’ai eu la chance d’arriver au moment où le festival se préparait à célébrer ses 30 ans avec les plus grands auteurs d’animation. J’ai pu découvrir des auteurs et des réalisations extraordinaires (Yuri Norstein, Igor Kovalyov, Koji Yamamura, Paul Driessen, Phil Mulloy, …) qui ont forgé ma culture de l’animation ; quel plaisir de s’initier à l’animation au travers de ces œuvres ! 

Quand je suis partie aux USA pour travailler pour Animation World Network, site ressource pour l’animation, au tout début d’Internet, j’ai découvert un autre aspect de l’animation, une autre façon d’aborder les films. C’était bien d’avoir les deux visions.  

L’École existait depuis deux ans quand, grâce à Jacques-Rémy Girerd, j’ai rencontré Isabelle Ilzière, première directrice de l’école, et Laurent… et ça fait 23 ans ! 

 

S: Et tu t’es mise à faire de la production 

A : Oui, la production des films d’étudiant.es et aussi leur diffusion. Mais ce qui m’a plus dès le début, c’était cette idée de « compagnonnage » et de transmission. 

 

S Et tous les deux, comment travaillez-vous ensemble ?

L : C’est très simple, Annick trouve l’argent et moi je le dépense ! 

A : Oui c’est vrai, je trouve les moyens de rendre cette école accessible financièrement, avec une diversité sociale et culturelle…  Avec Laurent, on travaille ensemble sur toutes les grandes étapes : du recrutement jusqu’au film de fin d’études. Laurent conçoit le programme pédagogique et accompagne les étudiant.es au quotidien ; et moi, j’ai un regard plus extérieur, celui du premier spectateur !

 

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© Mohammad Babakoohi

 

 

S : Vous êtes très complémentaires et complices ! 

L : L’enseignement repose aussi sur l’intervention d’intervenant.es professionnel.les extérieur.es, nous en avons plus de 80 par an, c’est l’équivalent d’un temps plein. Ils interviennent sur tous les métiers : storyboardeur.se, réalisateur-ice, monteur.se, compositeur.rice, producteur-ice, éditeur-ice, diffuseur… et ça permet d’avoir des points de vue très différents.  

 

S : Est-ce que vous pensez que La Poudrière est spéciale et pourquoi ? 

L :  Les étudiant.es vont progressivement prendre conscience de toutes les dimensions d’un film d’animation, une vision globale qu’ils n’avaient pas forcément avant car chacun arrive avec un bagage assez spécialisé. Certes, il y a de l’artistique mais ils.elles doivent aussi prendre conscience de la responsabilité du réalisateur en termes financiers et de gestion d’équipe, et vis à vis du public.

A : Les nombreux exercices et les projets, toujours réalisés dans un cadre donné, représentent de multiples occasions pour se tester et pour s’aguerrir, et sont sources de création. Ils.elles expérimentent plein de choses différentes, pensent et écrivent des projets en ayant toujours en tête de comment les mettre en scène. La charge de travail est importante, il faut qu’il y ait une exigence dans chaque étape du film. Cela leur permet d’acquérir un socle de savoir-faire sur lequel ils.elles pourront s’appuyer lors de leurs futures réalisations ; et aussi de comprendre le rôle de chacun dans une équipe. C’est essentiel pour diriger un film. 

 

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© Reza Riahi

 

S : Avez-vous beaucoup changé votre façon d’enseigner depuis 20 ans ? 

L : Il n’y a pas tant de choses qui changent si ce n’est l’éventail de professionnel.les qui interviennent. Au départ, on voulait tout faire et tout proposer. Ça partait sans doute un peu dans tous les sens. Je dirais que l’on a trouvé notre équilibre en 2005-2006, avec la promo 6 : on a alors compris à la fois comment aborder plus en profondeur la narration et les moyens de la traduire visuellement. 

A : On a aussi développé les exercices autour de la série au fil des années ; au début, les étudiant.es ne s’intéressaient qu’aux courts métrages, maintenant ils.elles se rendent compte que la série ouvre un vaste champ de possibles, y compris quand c’est une adaptation, avec une grande créativité dans la combinaison des personnages et des situations. 

Aujourd’hui, l’École est très internationale, avec chaque année des étudiant-es qui viennent du monde entier, ça crée forcément une grande richesse et une forte émulation.  

L : on a fait aussi émerger beaucoup de talents féminins. Mais déjà la promo 4 était essentiellement composée de filles. 

A :  Il n’existe pas de « quota », la parité et même plus, s’est toujours faite assez naturellement, mais ce n’est pas ce que l’on regarde en premier. 

 

S : Pouvez- vous nous parler du recrutement ? 

A : On reçoit une centaine de dossiers C’est un long processus, qui s’étale sur deux mois et des professionnel.les extérieur.es participent à la phase finale et aux entretiens avec les candidat.es présélectionné.es 

L : C’est le moment clé, où l’on a un vrai échange. 

A: Évidemment, on n’a pas toujours la même sensibilité artistique. Mais le plus important, c’est de découvrir une personnalité, et de mesurer si la personne en face de nous a vraiment envie de faire cette école en particulier. Ce n’est pas toujours facile à percevoir…

L : On regarde si les candidat.es ont vraiment envie de réaliser, s’ils.elles prennent la mesure de ce que cela veut dire de réaliser en animation. Ils ou elles n’en ont pas toujours conscience ! C’est un métier très engageant, il faut aussi avoir envie de communiquer et de « diriger » une équipe, alors que jusqu’ici, ils ou elles ont souvent eu des parcours assez « solitaires ». Parfois certain-nes se rendent compte qu’ils.elles veulent juste rester animateur.ice ! 

L’école est à la fois professionnalisante et expérimentale. Je me rappelle une étudiante qui m’avait dit : « J’ai été choquée le jour de la rentrée d’apprendre ce qu’était vraiment le métier de réalisateur »  

A :  Les intervenant.es aussi leur parlent des contraintes : il faut être capable d’ajuster son projet artistique par rapport à un cadre de production… 

 

S : Vous recrutez des étudiant.es mais aussi toute une promo ? 

L : oui tout à fait, une promo, ça se bâtit. Au moment des entretiens, on essaie aussi de voir ce que chaque personne peut apporter au groupe, de créer une synergie entre eux. 

 

full house1©  Katia Mikheeva

S : C’est un vrai talent de dénicher des talents ! 

A : on doit rester vigilants : on s’adresse souvent à des gens qui ont déjà un parcours : Est-ce qu’ils sont dans une démarche d’apprentissage ? Avec une forme d’humilité ?  De sincérité ? Au fil des années, on a appris à les décrypter un peu mieux, mais ça reste toujours une aventure. 

Ce que l’on souhaite, c’est offrir cette opportunité que représentent ces deux années d’études à la Poudrière à la bonne personne, au bon moment. 

 

S : quelle évolution notez-vous dans chez les étudiant.es que vous rencontrez et que vous recrutez ? 

L : Quand on a commencé, il existait peut-être 3, 4 écoles dans notre secteur ; depuis, ça s’est multiplié. Aujourd’hui, nos étudiant.es ont des parcours de formation très poussés, on a plus d’autodidactes. Ils.elles arrivent avec un parcours souvent très « pensé » et « planifié » : j’ai fait ça, puis ça pour venir à la Poudrière ensuite… 

Ils.elles sont très au fait des dernières techniques, des logiciels, de ce qui se fait… et c’est bien, car on peut rester centrés sur les enjeux de réalisation, et renforcer certains aspects comme la direction d’acteur par exemple. 

A : Je suis frappée par l’évolution de la culture de l’animation : aujourd’hui, c’est impossible de connaître tout ce qui se fait en animation, c’est tellement riche et cosmopolite… c’est une masse que les étudiant-es ne peuvent pas appréhender dans sa totalité. Il n’y a pas de culture commune. Que leur montrer en priorité ? On leur parle de « nos » classiques dans le court métrage, et même si aujourd’hui, ils.elles sont plus tourné.es vers les séries et les longs métrages, ils.elles sont ravi.es de découvrir tout cela. Et on les emmène chaque semaine au cinéma ou au théâtre. Récemment, ils.elles ont adoré “Les feuilles mortes” de Kaurimaski. 

Après 23 promotions, ils.elles ont aussi l’exemple « des ancien.nes » qui reviennent en tant qu’intervenant.es comme Osman Cerfon, Pauline Pinson, Benjamin Renner, Rémi Chayé… Les ancien.nes connaissent bien le rythme de l’école, tout ce par quoi les étudiant.es passent, il y a un réel attachement à l’école. 

Benjamin Renner

© Benjamin Renner

 

S : On sent toujours la même énergie et la même passion chez vous deux ! 

A : Oui. Je trouve que ce concept d’école est toujours aussi génial aujourd’hui même si ce n’est pas facile tous les jours : nouvelles normes, financements à trouver etc. Mais ça nous renforce dans notre « militantisme », pour nous, ce type d’école doit exister !  Et on a une très forte reconnaissance professionnelle, c’est très encourageant et ça donne de la force pour continuer à convaincre. 

L :  oui c’est une chance incroyable de côtoyer des étudiant-es et de les voir évoluer, ça apporte une énergie. En plus, l’école est située dans un cadre exceptionnel, et à proximité des festivals d’Annecy et Clermont Ferrand…

 

S : Et je ne peux pas terminer sans vous poser une question sur la place des femmes dans l’animation, la Poudrière a été précurseuse ! 

A : On est centré sur la personnalité artistique et dès le début, les femmes qui sont passées par La Poudrière ont su défendre leurs projets, avec parfois des envies de raconter différemment. 

L : Plusieurs de nos étudiantes « des débuts » ont réalisé des séries pour la télévision : Chloé Miller avec « Angelo la débrouille », Emilie Sengelin avec « Ariol », Pauline Pinson et Dewy Noiry avec « Michel » ….  

A : C’est vrai que les filles ont percé assez tôt dans la série. Aujourd’hui, elles abordent des sujets différents comme la sororité avec une manière qui leur est propre, c’est souvent plus vivant que revendicatif. Ou alors des sujets du quotidien…

 

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La Poudrière est devenue en 20 ans une sorte de « graal » pour celles et ceux qui souhaitent travailler dans le secteur de l’animation mais elle garde son côté simple, artisanal et authentique, c’est sans doute sa plus grande réussite et la personnalité d’Annick et Laurent n’y est pas étrangère. 

 

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 © Charlie Belin