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Jeudi 24 octobre 2019… Au Forum des Images, la salle est comble pour la Master Class de la série Culottées. Vous connaissiez la BD best-seller de Pénélope Bagieu ? En 2020, vous pourrez découvrir sur France Télévisions son adaptation mordante en série animée. Et ce soir : chic, on a droit à quelques épisodes inédits sur ces femmes aussi rock que le riff de guitare garage qui accompagne leurs aventures. En présence de l’équipe du film, s’il vous plaît ! Merci qui d’avoir organisé tout ça avec la société de production Silex Films ? Merci « Les Femmes s’Animent » !
Productrices, réalisatrices, scénariste – sont rassemblées pour une soirée animée par Virginie Boda. Ah ça fait du bien ce cercle féminin ! Ça change un peu… Il faut dire que le sujet s’y prête vraiment. Priscilla Bertin, productrice déléguée de la série (avec Judith Nora, son associée et Arnaud Colinart) raconte que Silex Films et Arnaud Colinart avaient mis une option sur ces Culottées, avant même la sortie de la BD – lorsque les planches n’étaient encore « que » un blog sur lemonde.fr « On ne l’a pas lâchée, Pénélope ! Quand la BD est sortie, on l’a achetée le jour même, c’était une évidence pour nous de l’adapter ! Chez Silex, on accorde une attention particulière aux projets qui valorisent l’image des femmes. »
Quant au diffuseur, France Télévisions, ils se sont mis illico sur le coup. Même coup de foudre ! Comme l’explique Tiphaine de Raguenel, Directrice Jeunes Publics et Animation au sein de la chaîne, c’était « une évidence pour pleins de raisons. Il était important pour une chaîne de service public de remettre les femmes à la bonne place. L’histoire de 30 femmes qui ont su changer le cours de leur propre histoire et aussi de la grande Histoire ! » Mais pas que, poursuit-elle : « Ça raconte quelque chose de très universel : COMMENT ON PREND SA VIE EN MAIN et comment on en change le cours » – et ça, moi perso, ça me parle…
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Photo : Suaëna Airault
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Bon, entrons dans le vif du sujet. Comment s’est passée l’adaptation ? Une équipe 100 % féminine s’est naturellement imposée. C’était « un vrai choix de producteur, un vrai engagement » explique Priscilla Bertin. Scénaristes et réalisatrices ont relevé avec brio le pari de transformer ces histoires courtes débordant d’ellipses narratives en strips animés de 3 minutes 30 max (le temps de cuisson d’un œuf à la coque).
Les deux co-scénaristes, Elise Benroubi, autrice de fiction, notamment de comédie, et Emilie Valentin, scénariste au parcours documentaire, et journaliste, ont constitué un duo de choc aussi culotté que leurs personnages : « le défi était de trouver une structure narrative commune à ces 30 épisodes complètement indépendants les uns les autres. » L’idée était donc de définir le fil conducteur de la vie de chaque « Culottée ». Par exemple dans le premier épisode, sur la nageuse Annette Kellerman, le fil rouge était la libération du corps. Et après pas mal de jus de crane, abracadabra, les scénaristes ont réussi à sortir de leur chapeau un schéma narratif applicable à chaque épisode. Sur l’écran du Forum des Images, il ressemble un peu à une randonnée en montagne ! Avec un début, puis un climax en forme d’« empowerment » – soit le moment où notre Culottée confrontée à un immense obstacle décide d’agir, et parvient à s’en libérer. Comme si la vie de la « Culottée » était l’ascension d’un sommet. Et chaque fin d’épisode se termine par un « mantra », une adresse au public. La Culottée se tourne vers le public pour encourager le spectateur à lui aussi se montrer audacieux et oser agir. You will rock you !
Autre secret de cette adaptation : là où la BD privilégiait la voix off, la série passe au maximum en voix in. Bref, donner une voix – en l’occurrence celle de Cécile de France ! – à ces héroïnes, la voix off – toujours Cécile de France ! qui d’ailleurs fait toutes les voix, y compris celles des hommes ! – posant essentiellement le contexte historique. Tout ça, bien sûr, en collant à l’humour et l’espièglerie de Pénélope – « cette insoutenable légèreté » selon la très jolie et délicate expression de Tiphaine de Raguenel empruntée à Milan Kundera – dans les sujets graves et douloureux.
Et tout ça, en y mettant son style ! Adapter oui, mais renouveler aussi, donc.
Question mise en scène, ce sont deux jeunes réalisatrices Mai Nguyen et Charlotte Cambon, qui étaient aux commandes. « Deux couteaux suisses », plaisante Priscilla Bertin, filant la métaphore de la montagne. Comme chaque épisode a une problématique différente, dans une époque différente, la mise en scène change à chaque fois. « On ne voulait pas tomber dans l’excès de documentaire et de réalisme, racontent nos deux jeunes réalisatrices. On voulait une mise en scène très narrative, très visuelle, avec le moins de commentaire possible » Minimalisme et symbolisme ont donc été leurs mots d’ordre. Un exemple parmi tant d’autres : quand la nageuse Annette est malade, le médecin ouvre sa mallette, et c’est l’eau de la piscine qui en sort. Mais mettre en image la narration a parfois été un vrai casse-tête. Particulièrement avec un contexte géopolitique compliqué à raconter Comme, par exemple, pour Josephina Van Gorkum, dans la Hollande du 19e, avec une notion comme la « pilarisation » – c’est-à-dire la ségrégation entre catholiques et protestants. Dans la BD, un long texte explique tout ça. Dans le dessin animé, il a fallu trouver une astuce : une séquence musicale et une couleur différente pour chaque religion afin de symboliser leur opposition. Autre souci : la question de la violence, parfois très lourde à traiter. Pour Leymah Gbowee, une activiste libérienne qui a subi des violences conjugales, les réalisatrices ont mis en place un jeu d’ombre luciférienne.
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Charlotte Cambon nous parle du graphisme : « Comme dans la BD, on a choisi un univers très coloré et très pop pour l’ensemble de la série ». Effectivement, d’un personnage à l’autre les dominantes de couleurs sont très différentes. « Comme Pénélope fait des personnages à la peau verte, jaune ou bleue, nous, on a fait pareil. Au début, on a fait une peau violette à Mae Jemison, la première femme noire dans l’espace. Mais comme à un moment elle dit qu’elle est noire, on a dû revenir à des couleurs plus réalistes. C’est une exception ! » Au final, les couleurs servent avant tout à traduire les états d’âme des personnages. Pour reprendre l’exemple de Mae : dans sa banlieue de Chicago, tout est gris. Mais dès qu’elle regarde Star Trek, elle s’évade. Et là, et c’est plus coloré, de la couleur du rêve… Mai et Charlotte se sont même faits un petit plaisir en ajoutant le personnage de Spok !
C’est à Philippine Gelberger, productrice exécutive chez Silex Animation, le studio d’animation de Silex Film qu’il revient de conclure : « Cette production était un gros défi : on a dû fabriquer l’équivalent de 30 courts métrages avec les moyens d’une série télé. Contrairement à une série classique où l’on développe tous les personnages de la série et où on les réutilise ; là, on avait 30 histoires singulières, avec un nouveau personnage à chaque épisode, qui évolue dans le temps, ainsi que de nouveaux personnages secondaires, de nouveaux décors etc. » Bref, là aussi, il a fallu du culot !
Et elle ajoute : « On voulait une empreinte sonore très forte. C’est Fred Avril, le compositeur de la musique de la série « Connasse » qui a trouvé ce rif. On voulait qu’à la première note du morceau, on puisse se dire dans une autre pièce : « Ah ça, c’est la série « Culottées » qui passe à la télé ! »
En tout cas, je peux en témoigner, ce thème, il entre dans la tête ; ça ressemble à You really got me des Kinks, ou à un morceau des Sonics. On a envie de sauter avec une guitare en criant Culottées ! Rendez-vous sur France Télévisions pour voir et entendre la suite…
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par Sophie Furlaud