Rencontre avec Antoine Dole, auteur de Mortelle Adèle
« Qu’est-ce qu’une héroïne ? Une force ! »
De la force, Mortelle Adèle en a à revendre. L’héroïne de BD créée par Antoine Dole sous le pseudo Mr Tan est une vraie bombe à retardement, une petite fille mordante et libre qui bouscule tout et tout le monde. Avec elle, adieu les idées reçues !
Lundi 4 décembre dernier, Antoine Dole, auteur de BD et de romans, est venu livrer sa vision des héroïnes en participant à la table ronde « Edition/Télévision : quelles héroïnes ? » organisée par Les Femmes s’Animent et le Salon du Livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil.
Son dernier roman Naissance des cœurs de pierre paru en 2017 a reçu la mention spéciale du jury du Prix Vendredi en octobre dernier. Le tome 14 de Mortelle Adèle sortira en mai 2018 en attendant le tome 15 dont l’auteur a terminé les textes.
Rencontre avec Antoine Dole en 14 questions…
Antoine Dole, quel est votre parcours ?
Antoine Dole – C’est d’abord un parcours fait de chance, d’opportunités et de belles rencontres. En parallèle d’études assez classiques en sciences humaines, je tenais un fanzine que je maquettais et imprimais moi-même sur la littérature émergeant sur les blogs. C’était au début des années 2000. Une maison d’édition est tombée sur ce fanzine, qu’elle a trouvé chouette, et m’a proposé de monter à Paris pour devenir éditeur au sein de ses équipes. C’est comme ça que je suis rentré dans le monde de l’édition. A peu près au même moment, un éditeur a repéré mes publications sur Myspace et via mon blog de l’époque, et m’a proposé de me publier. Il s’agissait alors de mon premier roman, et je n’ai pas arrêté depuis. Aujourd’hui, c’est mon activité à temps complet. La bande dessinée est venue plus tard, en 2012.
Comment êtes-vous arrivé à l’écriture ?
Antoine Dole – J’étais un ado plutôt angoissé et anxieux, et l’écriture était un moyen très simple de mettre des mots sur des sensations ou des sujets qui pouvaient m’effrayer. Je tenais principalement des journaux intimes. Je lisais peu, et c’était très difficile pour moi d’envisager de devenir écrivain alors que tout autour de moi me renvoyait l’idée qu’un écrivain était avant tout quelqu’un qui avait fait de longues études, qui était très érudit, qui venait d’un milieu intellectuel et avait développé une maîtrise parfaite de la grammaire ou de l’orthographe. Bref, une vision très poussiéreuse des choses. Et puis j’ai découvert une génération de jeunes auteurs très contemporains, très libres, qui ont fait bouger ces lignes en montrant que la littérature, avant d’être une conjugaison de savoirs, était une force vive, une énergie à dompter. Je pense notamment à des gens comme Virginie Despentes, dont le premier roman a été une véritable déflagration. C’est là que j’ai compris que je pouvais moi aussi devenir écrivain, à partir du moment où j’avais des choses à dire à ce monde et où je devenais capable de le regarder droit dans les yeux.
Vous écrivez sous votre nom, mais aussi sous un pseudo : Antoine Dole et Mr Tan. Qui est qui ?
Antoine Dole – Antoine Dole est mon nom, je l’utilise pour écrire mes romans et les textes plus exigeants émotionnellement. MrTan est une casquette plus grand public, disons. Je l’utilise pour les projets pour les plus jeunes, cela me permet notamment de faire un distingo entre une part de mon univers qui est plus sombre ou torturée comme cela peut être le cas sur les romans, et un univers plus solaire et ouvert à toutes et tous, comme sur les bandes dessinées par exemple. C’est un pseudonyme qui m’est venu de mes neveux et nièces, qui m’appelaient tout le temps Tan à cette période. C’est très assumé, il n’y a pas de secret entre ces deux casquettes, c’est plutôt une façon de baliser le terrain et de prévenir les lecteurs sur ce qu’ils pourraient trouver d’un côté ou de l’autre.
Dans vos romans, vous explorez l’adolescence, dans vos BD, l’enfance : qu’est-ce que vous interrogez ?
Antoine Dole – Pour moi, l’âge adulte, l’adolescence et l’enfance ne sont pas très différents. On s’adresse avant tout à un individu, à différents moments de son existence. En tant qu’auteur, on adapte juste notre discours en fonction des âges mais je pense qu’il est possible de tout raconter. Et puis aujourd’hui les frontières entre ces publics sont assez fines, car beaucoup d’adultes se tournent vers le dessin animé, la bande dessinée ou le roman ado, et bien des enfants nous surprennent par leur vision du monde et leur compréhension de ses enjeux. J’essaie avant tout de questionner mes personnages sur ce qui les pousse à se sentir vivant, sur ce qui les anime. C’est un fil conducteur important, dans la vie de chacun, de toujours nous interroger sur ce qui nous relie à ce monde et aux autres à travers nos actions et ce que nous sommes. C’est la meilleure façon d’être des individus conscients et en prise avec notre société. Donc j’aime travailler sur des personnages qui se questionnent et se cherchent.
Qu’est-ce qu’une héroïne pour vous ?
Antoine Dole – Une force. Parfois dans la vie, on a des questionnements, des fragilités, des vulnérabilités. Un héros ou une héroïne, c’est la matière qui va venir se loger dans cette petite fissure intérieure, et devenir une source d’inspiration. Nous rendre plus fort, plus vaillant, plus aventureux, plus courageux, plus libre aussi. C’est cette petite voix intérieure qui va nous dire « Tu en es capable, tu peux le faire ». Et cela vaut pour nos héros du quotidien qui changent les choses avec de petites actions, comme pour les super héros qui nous font tant rêver avec leurs super pouvoirs.
A partir de 2012, vous créez trois héroïnes de bd : Mortelle Adèle, Zoé Super (pour le magazine Manon), et Karen 2.0 (pour le magazine Julie), pourquoi avoir choisi des héroïnes plutôt que des héros ?
Antoine Dole – Mortelle Adèle a été créée bien avant ce moment, mais le choix de publier ces aventures, et davantage d’autres héroïnes, à cette période, était une volonté très personnelle. Ma nièce était petite et quand je voulais lui offrir des bandes dessinées, je trouvais beaucoup de choses en librairies avec lesquelles je n’étais pas fondamentalement en phase : des livres qui lui disaient qu’elle pouvait aimer le rose, les paillettes, les petites chats, la danse, ses copines et passer beaucoup d’heures à se pomponner devant un miroir sans qu’on attende grand chose d’autre d’elle… Alors que les héros pour les garçons offraient davantage d’intériorité, d’aventures, de transformations diverses, de quêtes initiatiques… J’ai simplement voulu créer des bandes dessinées que ma nièce pourrait lire pour s’interroger sur elle-même, et épouser le champs des possibles qui s’offrait à elle en vérité : l’opportunité, quand elle serait grande, de pouvoir devenir absolument tout ce qu’elle voulait être.
Comment est née Mortelle Adèle ?
Antoine Dole – Mortelle Adèle est née quand j’avais 14 ans, je la dessinais dans mes cahiers à l’école. J’étais plutôt timide et elle me servait à dire aux autres ce que je n’osais pas forcément dire. Je la dessinais sur des feuilles volantes, sur des cartes d’anniversaire, sur des cartes postales. C’était mon alter égo. Avec le temps, ce lien s’est renforcé, c’est vraiment une part de moi qui gratte en permanence. Cette partie qui refuse le monde tel qu’il est et cherche à en tester perpétuellement les contours. Je pense que c’est aussi pour ça que les lecteurs l’aiment bien : elle remet en question la norme, elle accepte ses bizarreries, elle desserre un peu le noeud que l’on a tous autour du cou dès que l’on se retrouve face à la société. Elle est la transgression, en quelque sorte, l’idée que nos particularités méritent toute notre attention plutôt que d’être camouflées pour paraître acceptables aux yeux des autres.
Si Mortelle Adèle était un garçon ?
Antoine Dole – Je ne me suis jamais posé la question. Mortelle Adèle est née telle qu’elle est aujourd’hui, et je ne la changerais pour rien au monde. Des fois, des gens me disent que c’est un « garçon manqué », et pour moi c’est l’expression la plus moche qui existe… Il n’y a pas de garçon manqué, il y a des enfants complets, riches intérieurement, et que le monde doit apprendre à concevoir au delà des clichés de genre. Ce sont les enfants qui changeront le monde, pas nous. C’est pour cela qu’il faut encourager leurs richesses intérieures, ouvrir leur vision de cette société, enrichir leur vision d’eux-mêmes, et leur apprendre à se définir en tant qu’humain, avant de leur parler des limites sociales tristement dictées par le genre. Je rêve d’un futur où on apprendra aux enfants, dès leur plus jeune âge, que tout est possible, et qu’ils sont leur seule limite.
– Quel « message » voulez-vous passer à vos lecteurs/lectrices avec cette petite fille mordante, qui interroge les expressions courantes, les règles, la norme, les clichés ?
Antoine Dole – Mon message ? On n’a qu’une seule vie. Tu veux la passer en t’amusant et en étant toi-même, ou en essayant d’être quelqu’un d’autre ? Interroger la norme c’est juste une façon de trouver où se positionner soi-même. Certains se sentent très bien dans la norme, et c’est très bien, d’autres y étouffent, et ça donne une société malade, pleine de gens aigris et malheureux. Pour être heureux, le principal est d’avoir conscience de qui l’on est, de ce que l’on a besoin de vivre. Et cela passe par une remise en question des règles et du monde dans lequel on nous demande de vivre.
Il y un peu de Mafalda chez Mortelle Adèle, quelles sont vos héroïnes d’enfance ?
Antoine Dole – Mafalda est un personnage que j’aime beaucoup, même si enfant je ne percevais pas sa dimension sociale et politique, j’aimais son pas de côté sur tout ce qui l’entourait. Cette capacité à être en décalage avec le monde pour mieux l’observer, le comprendre. J’ai aussi été énormément touché par les combats des femmes autour de moi, à des époques où il était encore difficile d’assumer ses envies, ses passions, ses rêves, et la façon dont elles se sont battues pour s’épanouir en tant que personne. Quand j’étais enfant, j’avais cinq ans et j’étais le seul enfant de parents divorcés dans ma classe. C’était un choix difficile pour ma mère, dans une petite ville où tout le monde à quelque chose à dire sur tout le monde, et qu’elle a assumé seule et malgré les difficultés, pour vivre la vie qu’elle désirait. J’ai beaucoup de respect pour ça.
Quelle est l’actualité de Mortelle Adèle ?
Antoine Dole – Nous publierons bientôt le tome 14, et je viens de terminer les textes du tome 15. En parallèle, nous avons eu à coeur de développer différents objets pour inciter les enfants à la création : un kit pour apprendre à faire de la bande dessinée avec Mortelle Adèle, un autre pour apprendre à écrire ses scénarios et à réaliser ses propres petits films. Il y a aussi des figurines, des jeux de société. Je crois vraiment qu’en nourrissant l’imaginaire de nos lecteurs, et en les encourageant à s’en saisir, ils pourront réinventer beaucoup des règles de ce monde, et devenir de chouettes adultes.
Quel est votre lectorat ?
Antoine Dole – C’est un lectorat très mixte. Les lecteurs à qui on en parle ne perçoivent pas Adèle comme un personnage sexué, mais comme une part d’eux-mêmes, qu’ils soient fille ou garçon. C’est assez chouette à voir, car finalement cela signifie bien qu’en touchant à quelque chose d’universel, la question du genre n’existe plus. Mortelle Adèle est avant tout un personnage qui les aide à accepter leur part d’étrange, qui traduit leur peur de la norme et des règles qui régissent notre société. C’est aussi pour ça, sans doute, qu’on a beaucoup d’adultes qui nous suivent. Il n’y a pas d’âge pour chercher un écho à ce qui nous semble autoriser ce que l’on est vraiment au fond de nous. Aujourd’hui c’est à peu près 900.000 exemplaires écoulés, et une grande chance de porter un personnage qui défend la liberté d’être ce que l’on désire être.
Vous avez évoqué qu’une adaptation de Mortelle Adèle en série d’animation avait été envisagée : qu’en est-il ?
Antoine Dole – C’est un projet qui est au point mort. Il y a eu des propositions qui n’ont pas abouti, de l’intérêt de la part de diffuseurs aussi. Mais je souhaite trouver des interlocuteurs qui m’aideront à développer une série d’animation fidèle à ce qu’est la bande-dessinée. Sinon, quel intérêt ? Nous avons la chance de toucher un grand public en librairies, et cela me convient. Je ne souhaiterais pas toucher plus de monde pour de mauvaises raisons ou de la mauvaise façon. Le jour où une proposition résonnera pleinement avec ce personnage, alors là oui, on foncera !
Quelle est votre série d’animation actuelle préférée avec une héroïne ?
Antoine Dole – En ce moment, je regarde un anime qui s’appelle Magical Girl Raising Project. C’est une série japonaise qui raconte le quotidien de jeunes filles à qui l’on offre la possibilité de devenir des Magical Girls, avec des pouvoirs extraordinaires, pour changer le monde en aidant les autres. Après quelques actions plutôt ludiques, elles découvrent peu à peu que la réalité est bien plus sombre en vérité, et qu’elles vont devoir s’entretuer entre elles pour conserver leurs pouvoirs et survivre dans le monde réel. J’aime cette idée de traiter de l’ambition chez les jeunes filles, car c’est un sujet assez peu exploré.
De la même façon, j’aime beaucoup l’anim’ Puella Magi Madoka Magica, sur le même thème. Des jeunes filles à qui l’on offre de devenir de puissantes guerrières magiques, et qui se retrouvent dévorées par leurs propres pouvoirs. C’est passionnant d’interroger le public sur ce sujet.
Caroline Oustlant