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Laurence Petit rejoint Carole Scotta dès la création de la société Haut et Court en 1992.
La société produit alors du court-métrage, a des envies de distribution et déjà d’exploitation. À cette époque, Carole obtient la bourse de la fondation Hachette et se lance dans la distribution de films indépendants américains : Les Inédits d’Amérique, programme de 6 films découverts avec la complicité de Marianne Dissard sur la côte Ouest américaine. Laurence s’occupe de la distribution de ces films. C’était son premier job et depuis, elle ne l’a plus quitté. Sa carrière est une épopée collective qui s’est développée au fil des décennies et qui continue à prospérer en cultivant un esprit d’ouverture cher à ses yeux. Rencontre exaltante avec une passeuse d’histoires, curieuse et instinctive, animée par la passion du cinéma.

 

 


 

« Je me sens extrêmement privilégiée d’avoir pu choisir les gens avec qui je travaille. »

 

Étudiante, Laurence a mené de front deux cursus qu’on pourrait croire opposés. Côté pile, des études en philosophie de l’art dans lesquelles elle fait du cinéma expérimental et réalise des films en Super 8. Côté face, des études d’économie internationale, avec comme spécialité les pays en voie de développement. Deux facettes artistique et business qui seront essentielles dans son futur job, mais ça elle ne le sait pas encore à ce moment-là.

Déjà dans le partage et l’émulsion créative, Laurence organise en 1991 « Rencontres autour du court-métrage », un événement qui réunit réalisateur.rice.s, musicien.ne.s et comédien.ne.s. C’est à cette occasion qu’elle rencontre Carole Scotta qui intervient en tant que réalisatrice. Elles sont très vite réunies par l’envie commune de mélanger les artistes, de les faire cohabiter, dialoguer, les stimuler et les faire créer ensemble. Laurence rejoint alors Carole dès qu’elle monte Haut et Court. L’aventure démarre à quatre personnes qui grandissent ensemble professionnellement dans un esprit d’ouverture et de grande curiosité.

Laurence s’épanouit dans son rôle de responsable de la distribution, un poste où ses deux pôles de compétences font complètement sens. Au fur et à mesure des années, l’activité de la société se diversifie. Production et co-production de long-métrages, séries, films documentaires, films d’animation, ainsi que l’exploitation de salles de cinéma à Paris et en province.

« On a souhaité avoir une vue panoramique du marché, être présent là où des espaces de création nous invitaient à être libres et audacieux. À chaque fois qu’il y a eu des territoires à défricher, on tente d’y pénétrer en invitant des auteurs à réfléchir ensemble à de nouvelles écritures. »

 

Avec à chaque fois le souci de la diversité et de la parité pour être dans une juste représentation de la société. Ainsi chaque année, Laurence, Carole et Laure Caillol, responsable des acquisitions, distribuent 9 à 10 films dont certains sont coproduits par la société. Parmi ces films, on retrouve quelques films d’animation, une sélection issue d’un choix minutieux en production et/ou en distribution.

 

Kérity, la maison des contes – 2009

 

« L’animation célèbre le collectif, agrégeant la compétence des talents et c’est à la fois très émouvant et très stimulant. »

 

C’est en 1995 que Laurence distribue le premier film d’animation pour Haut et Court : Les Aventures Secrètes de Tom Pouce de Dave Borthwick. Un film audacieux qui mêle plusieurs techniques : stop motion, 3D, rotoscopie. À cette occasion, elle découvre avec émerveillement les studios Aardman et le monde de l’animation.

En 2009, après le succès du film Kérity, la maison des contes qui s’approche des 900 000 entrées en salle, la société a la volonté de sortir un film d’animation tous les deux ans en distribution et en coproduction. Depuis, l’animation fait partie de l’ADN de Haut et Court et c’est devenu l’espace privilégié de Laurence. Kérity, la maison des contes de Dominique Monféry, Le Chant de la Mer de Tomm Moore, Gus petit oiseau, grand voyage de Christian de Vita ; Pachamama de Juan Antin pour les longs métrages cinéma et dernièrement, les séries Silex and the city et 50 nuances de Grecs de Jul pour Arte. Fidèles collaborateurs de Tomm Moore, Haut et Court prépare actuellement la sortie en salles de son dernier film, Le Peuple Loup. 

 

« Je crois que l’animation m’a permis de réaffirmer que le lien avec le public était crucial, que notre cœur de métier, c’est la salle de cinéma et que l’éducation à l’image est indispensable. Jour après jour, affronter l’âpreté du marché et sa féroce concurrence, devoir résister en toute indépendance demande une telle énergie, une exigence de tous les instants. Il y a 20 ans, lorsque nous avons commencé à distribuer des films d’animation, cela ouvrait d’autres espaces de travail, de réflexion comme le lien à l’enfance, à l’éveil du premier récit ou de la première émotion au cinéma et cet accompagnement impliquait un engagement passionnant. »

 

Laurence constate que l’animation a un tel pouvoir, qu’il amène une responsabilité sur la représentation et les récits puisque c’est possiblement la première image qu’un enfant va voir au cinéma. Ainsi, elle est présente dès l’écriture d’un film d’animation et accompagne au plus près sa fabrication. C’est une relation forte qui se crée avec les producteurs, les réalisateurs, les auteurs, les animateurs, un milieu qu’elle apprécie particulièrement pour son rapport à l’artisanat collectif.

 

Le Chant de la Mer – 2014 

 

Laurence semble habitée par cet esprit de troupe, à tel point qu’elle dit souvent « on » à la place de « je » quand elle parle de son travail à Haut et Court. Elle se sent privilégiée. Le fait d’évoluer dans cette société qui pendant longtemps a été majoritairement féminine, l’a fait grandir professionnellement dans un esprit de sororité.

Elle est admirative de l’audace quotidienne dont fait preuve Carole Scotta, de l’inventivité stimulante de Caroline Benjo et de l’énergie créative de Barbara Letellier productrice, entre autres, des séries d’animation Silex and the city et 50 nuances de Grecs et de l’engagement de Julie Billy, co-fondatrice du collectif 50/50 pour la parité et la diversité dans le cinéma.

Laurence rejoint Les Femmes s’Animent suite à sa rencontre avec Corinne Kouper qui lui parle du collectif. Depuis, Laurence siège au Board of Advisors de l’association et lui apporte son aide précieuse et son expertise. Cette année, elle fait également du mentorat pour l’association. Elle accompagne et guide une personne qui débute dans le milieu de l’animation. Laurence a l’habitude de ce genre d’accompagnement. Dans son métier, elle côtoie énormément de producteur.rice.s et de réalisateur.rice.s qui produisent pour la première fois ou qui réalisent pour la première fois. Et accompagner un premier long en salle, ça ressemble à du mentorat dans les discussions et les échanges.

 

« Il faut qu’on continue à avoir les moyens de rêver. »

 

Depuis l’adolescence, Laurence est mue par la curiosité, l’instinct et l’audace. Je trouve que son parcours est impressionnant et qu’elle fait preuve d’une grande pugnacité face à l’âpreté d’un secteur compliqué.

« Année après année, on doit se confronter à un marché de plus en plus dur. Qui parfois peut censurer l’expression la plus libre. Mais on arrive toujours à trouver des chemins détournés grâce au public, notre principal allié. Il fait preuve d’exigence et se familiarise parfois à des récits hautement complexes. On tente de créer sans cesse un dialogue avec lui, c’est notre moteur et notre raison de faire et de fabriquer. »

 

Elle admire cette forme de résistance chez de nombreux artistes, la manière dont ils affrontent la censure, et continuent de produire et réaliser des films et trouvent un chemin de traverse pour continuer de créer.

Le Peuple Loup – 2020      

 

Laurence a des craintes pour l’avenir, le maintien du statut d’indépendance, l’écosystème d’un cinéma mondial mis à mal, et espère un soutien de la part des pouvoirs politiques français et européens pour sauver, protéger et permettre à la création d’être et de continuer à s’exprimer librement.

« Il faut un système qui protège la création, l’éducation, la culture, les auteurs, un système qui soit garant de la démocratie et de la diversité et qui propose un cadre équitable à long terme. Il faut que la création continue d’être engagée, qu’elle puisse représenter la société dans laquelle nous vivons, qu’elle puisse encore défricher des territoires inconnus et qu’elle ait la liberté de pouvoir le faire. Il ne faut cesser d’être combatif, résister à chaque instant  et pour cela il faut se battre ensemble en France et en Europe. »

 

Cette rencontre me laisse dans un état d’émerveillement. Laurence Petit est une passionnée de cinéma et d’artistes ; elle élève le « faire » collectif au rang d’Art avec un grand A. En l’écoutant, j’ai le sentiment que le cinéma est comme quelque chose de précieux à préserver. Où la salle serait un écrin et le film un bijou qui s’offre au monde. Je suis plus que persuadée que cette préservation passera par l’entraide et l’émulsion collective.

 

 

Propos recueillis par Mélanie Furne-Corbizet.

Portrait – Laurence Petit par Mélanie Furne-Corbizet