Aller au contenu

 

Rencontre avec Aurélie Raphaël,

directrice artistique

« Il faut toujours trouver du plaisir ou apprendre quelque chose » 

De la série « La vache, le chat et l’océan » produite par Futurikon en 2005 au long-métrage « Le chat du Rabbin » (Banjo Studio) en 2009, en passant par le long-métrage « Pachamama » (chez Folivari), il en a coulé de l’encre numérique entre les doigts d’Aurélie Raphaël, aujourd’hui directrice artistique dans l’animation.

A l’âge où les enfants rêvent d’être instituteur, ou boulanger, Aurélie rêvait déjà de faire de l’animation. Il faut se méfier de la force cachée des rêveurs, surtout des timides. Ils ne s’épuisent pas en vaines paroles, ils s’exécutent, simplement.

Et c’est ainsi que la petite fille subjuguée par les Disney, dans lesquels elle percevait déjà « le mouvement comme de la vie », a initié son parcours en intégrant l’ATEP, une école privée d’arts plastiques, qui prodiguait une formation sur tous supports (volume, dessin, PLV, etc.)
Plus que l’ambition, le désir premier de s’épanouir d’abord. Le reste suivra.

A la sortie de cette école, elle s’est vue offrir son tout premier poste sur « La vache, le chat et l’océan » comme assistante de production sur les story-boards, props, effets spéciaux, préparation de décors chez Futurikon. Par la suite, dans la même société de production, il lui a été proposé d’officier comme décoratrice couleur sur la saison 2 de la série « Chasseurs de dragons ». Le sort en était jeté.

Pour étancher sa soif d’apprendre, cette adepte de moults hobbies manuels (couture, crochet, sérigraphie, gravure), amoureuse de la bidouille, a diversifié les fonctions et les techniques. « Tous les postes que j’ai occupés m’ont apporté. Il faut toujours trouver du plaisir, ou apprendre quelque chose. »
Sur la 2D, la 3D, en couleur, comme en noir et blanc, iIllustratrice, chef décoratrice couleur, chargée de supervision de décors, directrice artistique, on trouve cette jeune femme, qui se définit elle-même comme une « touche-à-tout-curieuse-de-tout », sur tous les fronts.
A tel point que lorsque je lui demande si elle a une couleur favorite, elle me dévisage avec perplexité. Elle se dérobe par une pirouette : elle aime le noir et blanc, le contraste, le volume, les couleurs pleines, les associations de couleurs saturées, « mais pas trop ».
Aurélie aime tout, et même ce qu’elle n’aime pas. Lorsqu’elle confesse par exemple n’avoir pas eu au début d’appétence pour la peinture. « Mais maintenant j’aime bien. On a appris à se connaître elle et moi ».

Et tandis que je la taquine sur le paradoxe entre son goût pour le noir et blanc et la dénomination de sa fonction de « décoratrice couleur », elle me répond que dans le cas de la production de Pachamama par exemple, « c ‘est la couleur qui fait le volume ».

Alors qu’en bonne enquiquineuse, je l’amène sur le même dilemme, question technique, afin de déterminer si elle préfère la 2D ou la 3D, en m’attendant à la même dérobade, elle concède cette fois avoir peut-être une prédilection pour la 2D, « plus lâchée », en opposition à l’aspect plus technique de la 3D et qui comporte davantage d’étapes, et de postes pour chaque tâche définie (modélisation, set up, texture, lighting, rendu…)
« Dans Pachamama, long-métrage destiné au jeune public, il a fallu trouver un moyen d’intégrer la 3D des personnages avec la 2D des décors, tout en conservant une cohérence. On a choisi de concevoir la 3D comme du volume et d’amener la 2D dans le même sens. »

Dans les références et sources d’inspiration d’Aurélie, on retrouve les premiers Disney, courts et longs-métrages, « La petite taupe », Egon Schiele, Karl Larson, Gustav Klimt, les musées (expressionnisme, fauvisme, l’art abstrait…) en général, et l’art brut en particulier. Ce qu’elle aime, c’est retrouver une vraie démarche de l’auteur derrière l’œuvre. « Parfois, la réflexion peut, pour moi, prendre le pas sur l’esthétisme ».

 

D’ailleurs, ses goûts en matière d’art reflètent son propre modus operandi. Elle évoque sa « machine mentale », dans laquelle elle analyse et intériorise le dessin avant de le retranscrire. « Je sais où je veux aller, je visualise les techniques pour aller jusque-là. Je pense au trait, à la couleur en dissocié avant de les faire se rejoindre ». Et là encore, toutes les techniques se valent pour faire naître l’idée : elle travaille sur ordinateur en production, sinon sur du papier, en traits (noir et blanc) et en couleur. En ce moment, elle travaille avec des feutres…

Le côté lonesome cowgirl, Aurélie, elle ne connaît pas. Elle travaille toujours en équipe. En tant que chef de projet, il est pour elle essentiel de considérer l’individualité des membres de son équipe en étant à l’écoute, en valorisant la créativité de chacun, tout en transformant cette pluralité en unité (personnages, décors, etc.) sur le projet.
Pour Aurélie « Nul homme n’est une île », pas question de la jouer perso, il faut être à l’écoute de tous pour faire quelque chose qui fonctionne et plaise… à tous.
D’ailleurs, les gens, et les rencontres sont, avec la diversité des projets, ce qui constitue le moteur de la machine mentale bien huilée d’Aurélie…

Sur le sujet de la représentation des femmes dans l’animation, elle affirme ne pas avoir à se plaindre en décors, où les femmes sont souvent majoritaires sur les hommes, à l’inverse de la réalisation, où nos homologues sont sous-représentées. Pour elle, l’excès, dans les deux cas, est dommageable. « Je suis pour l’équilibre. Le mélange oblige à faire des efforts, à ouvrir des discussions. Ce serait ennuyeux d’être uniquement avec des hommes ou des femmes. »

« Etre un auteur graphique ? J’aimerais bien mais je n’ose pas ».
Lorsque je lui demande si de créer quelque chose qui n’existait pas avant soi, ce n’est pas déjà quelque part être un auteur, elle me répond avec cette humilité qui rend le talent supportable : « J’ai cette déformation professionnelle, je fais pour que ça me plaise, mais le regard des autres m’importe beaucoup aussi. »

 

Pourtant, des projets personnels, elle en a, notamment dans l’édition jeunesse. Certains lui viennent même en rêve… Récemment, elle a dessiné l’un d’entre eux qui a nourri l’imagination d’une auteure, et une histoire est née… « J’aimerais bien faire un projet perso, mais c ‘est dur de se livrer, de se dévoiler. »

 

Et si tu avais un conseil à prodiguer dans ce métier, Aurélie, ce serait quoi ?
« Ecouter les autres, mais aussi écouter son instinct. Apprendre des autres, mais aussi savoir se faire confiance. C’est un équilibre à trouver.»

Et c’est en prenant congé que je songe que l’équilibre semble être ce qui définit le mieux Aurélie. Entre le souci du labeur bien fait, et le désir de s’épanouir, la place à donner aux autres, et la nécessité de faire entendre sa propre petite voix.

Jacques Brel disait que « le talent, ça n’existe pas. Le talent, c’est d’avoir envie de faire quelque chose ». Il y a des gens qui ont envie, qui font, et dont tu fais partie. Merci pour ce partage, Aurélie.

 

Suaëna Airault

Portrait – Aurélie Raphaël par Suaëna Airault