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Mariam Hachmi m’accueille dans ses bureaux de La Chouette un matin de septembre. Le temps est gris et laissera place à des rayons de soleil au fil de notre échange. Mariam a fait livrer des viennoiseries et pâtisseries pour les équipes et pour nous. Un foisonnement de gourmandises et des yeux qui pétillent.
Dans son bureau coloré et joyeux, des illustrations des œuvres qu’elle a co-produites et créées, des posters du studio Ghibli, des figurines des icônes du monde de l’animation. Son amour pour l’animation et l’imaginaire est palpable, et s’incarne dans sa vision entrepreneuriale et artistique. Mariam Hachmi est cofondatrice et directrice générale de La Chouette.
Mariam a « toujours adoré raconter des histoires ». « J’en racontais déjà à huit ans à mes cousins. Ils s’en rappellent encore aujourd’hui, des histoires d’horreur surtout. (rires) » Les histoires ont toujours été son refuge. Et c’est son ambition aujourd’hui en tant que productrice et créatrice, « que nos programmes puissent être un refuge, un cocon, une bulle, et qu’ils puissent provoquer ce sentiment qu’on a tous eu quand on a huit ans, que tu rentres de la bibliothèque avec plein de nouveaux livres à découvrir, cette excitation-là, ou celle de boire un chocolat chaud en découvrant un nouveau dessin animé à la télé. » Elle ajoute :
« L’enfance est à protéger, surtout en ce moment où l’information est PARTOUT. Quand on est enfant, on n’a pas à être au courant de tout ce qui se passe dans le monde. L’écologie ou la sécurité sont des enjeux importants, mais nous devons permettre aux enfants de rêver le plus longtemps possible.»
Mariam fait partie d’une génération de productrices pour lesquelles les modèles féminins se comptaient sur les doigts d’une main. Ses parents « étaient très loin de tout ça ». D’origine marocaine, ayant grandi en banlieue parisienne, c’est un milieu qu’elle ne connaissait pas. « Mais je me suis dit pourquoi pas, je n’ai rien à perdre, je n’ai pas à me mettre de barrière ».
Elle rêve depuis l’enfance de faire de l’animation et en particulier de l’animation jeunesse. Elle découvre en grandissant que ses films préférés, « de vrais gens les avaient faits, l’animation était une vraie industrie ». Cette épiphanie reste dans un coin de sa tête, tout au long de ses études. Elle sent qu’elle pourrait « s’y épanouir, y trouver refuge ».
Elle démarre des études de droit « pour assurer ses arrières » et prendre un chemin de traverse plutôt que d’attaquer frontalement cet idéal. « Il était trop difficile d’envisager une carrière artistique, vu le milieu d’où je venais. J’aurais déçu trop de monde ». Pourtant, « très vite, je ne me voyais pas dans un cabinet de droit des affaires, pour aider des entreprises à devenir plus riches. J’avais un souci d’alignement. Ce n’était pas du tout en accord avec mes valeurs. »
Alors qu’elle finit son master en droit, elle trouve une porte d’entrée vers l’animation en tentant INA-Sup, une nouvelle école gratuite qui vient d’ouvrir. Puis, elle rentre chez Alphanim en stage. « Une autre porte qui s’ouvre plutôt facilement ». Son objectif : apprendre le financement d’une série, c’est son « point faible. » « Tout ce qui était un peu économie, budget, Excel, et compagnie, ce n’était pas du tout mon domaine de compétence, mais pas du tout » dit-elle en riant. Elle reste chez Alphanim finalement un peu plus longtemps que prévu, apprend le métier, apprécie l’ambiance, les gens, le travail et sent qu’elle se reconnecte à ce qui la faisait rêver enfant.
Elle rejoint en 2011 le studio 2 Minutes Paris, d’abord comme Responsable des financements, puis intègre l’équipe de développement comme Productrice artistique. Vient ensuite l’envie d’être plus libre de ses choix artistiques, d’aller vers le métier qui l’attire le plus : productrice. Choisir les projets, les équipes, être en contact avec le marché, et surtout… initier les projets.
A 29 ans, elle franchit le pas et devient co-fondatrice de la Chouette avec Sylvain Dos Santos.
« Avec le recul, je dois avouer que ce n’est pas le réflexe de beaucoup de jeunes femmes qui commencent leur carrière. On ne t’encourage pas à devenir entrepreneuse, que ça soit à l’école ou à la maison. Que ce soit ta famille, tes potes, en fait tout le monde te dissuade, tout le monde te parle du réseau, te dit que tu ne connais personne, qu’il faut de l’expérience, que ça va être difficile.
Moi je crois que… je ne vois pas trop les difficultés. » dit-elle en souriant. « Il faut au contraire ne pas attendre avant de se lancer ! Tu vas peut-être te planter au début, et ce n’est pas grave, parce que du coup, tu apprendras et après, ça ira ».
Elle adapte cette vision à son métier de productrice. « Ça ne sert à rien d’attendre 1000 ans, tu veux être productrice, tu as des projets, tu as des idées, tu as envie de proposer des choses, tu le fais et puis même si tu es trop jeune, personne ne t’en voudra. C’est bien d’essayer et petit à petit, tu affines ton expertise, ton expérience, ton feeling, ta relation avec les diffuseurs. Le nez devient plus fin aussi pour les bons projets au fur et à mesure de l’expérience.»
Elle prévient cependant que « la volonté ne suffit pas ». Son conseil : « avoir potassé, connaître le métier, les grilles de programmes des chaînes. S’imbiber de cet univers, rencontrer des artistes littéraires, graphiques, réalisateur·rices pour se faire un réseau. C’est un travail collectif. Quand tu es producteur·rice, tu ne fais rien tout·e seul·e. »
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« Il m’a fallu arpenter les salons et marchés professionnels pour développer mon réseau. Tout prend du temps. Il faut être besogneux et humble ».
Mariam recommande également d’avoir déjà des projets avant de créer sa société de production. Au moins un projet écrit et un peu développé à pouvoir présenter à un diffuseur. Une autre clé indispensable : « avoir déjà travaillé au préalable dans une entreprise ». « Il faut être une éponge. S’imbiber de tout, de tout ce qui se dit, de tout ce qui est bien / pas bien, de constater les erreurs ».
Elle encourage aussi à « rester honnête, simple ». Le fake it until you make it* (NDLR: en français, « faire semblant jusqu’à ce qu’on y arrive ») très peu pour elle. « C’est important de rester aligné·e avec soi-même et sa personnalité. Quand tu vends un projet, tu te vends toi ». Cette approche permet de « rencontrer et de travailler avec des gens qui ont une sensibilité similaire ».
La Chouette existe maintenant depuis neuf ans. Depuis leurs débuts à trois personnes dans un petit bureau loué à Bastille au sein du studio Caribara, la société compte aujourd’hui 750m2 de bureaux à Montreuil et 120 collaborateur·rices ainsi qu’un studio à Angoulême avec 20 personnes. Le défi actuel de Mariam est donc de structurer sa société de manière adaptée. « Il y a des choses que je faisais au tout début que je ne fais plus du tout aujourd’hui. J’ai délégué le juridique et la production exécutive. Mais bien sûr, quand il y a besoin, on est là. »
« Avec Sylvain Dos Santos, on adore développer des programmes ». Mariam et Sylvain dédient une grande partie de leur temps à écrire et créer des projets, « un petit plaisir qu’on continue de s’octroyer », en plus de leur casquette de producteur·rice. « Evidemment, je m’occupe de tout ce qui est plannings, budgets, recherche de financement pour monter les projets. Et ensuite, on embauche des producteurices exécutif.ves pour suivre les projets. »
Elle et Sylvain se répartissent les projets et ne travaillent pas sur les mêmes séries. « On fait bande à part sur les projets. » dit-elle avec un air malicieux.
« Au début, en développement, on est obligé·es d’être au four et au moulin. Puis, plus on avance dans la production, plus notre champ d’intervention rétrécit. Ça me permet de me dédier à ce que j’adore faire : écrire, développer et modeler un projet ».
La Chouette a d’ailleurs une quinzaine de projets en développement.
Mariam est très à l’écoute de ce qui se fait en France et à l’international. Elle fait de la veille. « Je regarde beaucoup de programmes, tout le temps. Le matin, je regarde des dessins animés, je trouve que c’est très important, c’est comme cela que je peux avoir le déclic. J’observe et je peux identifier ce qui manque dans les grilles de programmation. Par exemple, j’ai remarqué qu’il manquait un programme plus calme pour les tout-petits. J’ai eu alors l’idée de créé Taki Tanuki ». (Ndlr : Taki Tanuki est une série à l’univers graphique « naturel et apaisant » qui joue autour des poses de yoga et des animaux qui les inspirent) ».
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En parallèle, elle incarne dans son quotidien d’entrepreneuse et de dirigeante son envie d’être « accessible, les mains dans le cambouis, consciencieuse et besogneuse ». « Ce n’est pas le côté le plus glamour de ce qu’on imagine d’un·e producteur·rice mais j les gens préfèrent quelqu’un qui va bosser plutôt que quelqu’un qui est juste dans l’apparat ». Couteau suisse, Mariam n’hésite pas à rentrer dans l’opérationnel en fonction des besoins et des deadlines. Elle sait faire du montage, de la réalisation (elle a d’ailleurs co-réalisé « Le Monde selon Kev », une série créée et doublée par Kev Adams).
Elle consacre également une grande part de son temps à ses équipes. « Les équipes ont besoin d’être en contact direct avec nous, de sentir qu’il n’y a pas de distance avec nous ». Son plus grand défi, « c’est de faire en sorte, quand il y a un problème, d’anticiper, de désamorcer, de dénouer. Pour moi c’est un challenge quotidien de faire en sorte que tout le monde se sente bien à sa place. Ce n’est pas simple parce que on est de plus en plus nombreux mais on fait très attention à ça. ». Un rôle qu’elle cherche actuellement à structurer en ayant nommé Brice Leyniat pour l’épauler dans la gestion des RH et du recrutement.
Quand je lui parle de son identité de femme arabe et comment cette identité a été vécue dans le milieu de l’audiovisuel, Mariam fait une pause. « Enfant, j’étais un rat de bibliothèque, je dévorais des romans, je n’avais pas conscience de ma différence. Et surtout, je n’anticipais pas que mon identité deviendrait une question en devenant adulte. Pour moi, tout se réglerait par le biais des études, tout serait jugé sur la base de l’intelligence. Même s’il y avait des difficultés, je n’y prêtais pas attention. A l’époque, ce n’était pas un sujet. Ça l’est devenu récemment. »
« Je découvre qu’avec 10-15 ans d’expérience, une création de boîte, des preuves de réussite, à 38 ans, je suis quand même parfois face à des personnes qui m’infantilisent et me réduisent à mon origine de la même manière qu’au début. »
Le meilleur conseil qu’elle ait reçu vient de ses parents : « il faut que tu restes indépendante ». Un conseil qu’elle suit et incarne parfaitement. La Chouette est sollicitée régulièrement pour des rachats, qu’elle et Sylvain refusent systématiquement. Ses parents disaient : « vous avez tout fait tous seuls. Tu sais ce que tu as, tu ne sais pas ce que tu auras. »
La Chouette a également produit plusieurs séries à dimension internationale pour des diffuseurs américains. « Culturellement, ils ne travaillent pas comme nous. Notre enjeu a été de nous adapter à leurs manières de faire tout en respectant nos valeurs ». Hollywood et ses séries et films ont bercé son enfance. Mais aujourd’hui, elle préfère notre modèle français qui garantit plus de diversité et d’intelligence dans les contenus et garantit l’émergence d’entreprises comme la nôtre, qui les soutiennent et les protègent ».
Selon elle, les Etats-Unis restent cependant le centre névralgique. « On ne peut pas s’en désintéresser, ça reste un terrain à conquérir, ce qu’on fait progressivement. On n’est pas pressé et on le fera de la même manière que ce qu’on a fait jusque-là, avec beaucoup d’humilité, de simplicité et beaucoup de travail. » Cette démarche commence à porter ses fruits. « On a de belles choses qui se dessinent sur les mois à venir. Malgré tout, on ne sera jamais américain, on sera toujours une boîte de production indépendante française. De la même manière qu’on va travailler avec des sociétés en Chine, en Italie, en Angleterre, c’est avant tout des partenariats. »
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Actualité et tendance actuelle oblige, nous abordons la question de l’intelligence artificielle dans le domaine de la création artistique. Mariam s’assombrit. « Si le métier se transforme au point que l’IA remplace des personnes avec qui nous travaillons, alors ça ne m’intéressera plus ». Ce qui la motive dans le fait d’avoir une société de production, c’est le contact humain, ce sont les gens qui la composent et avec qui échanger. « S’il n’y a plus d’être humain, alors à quoi bon ? ». Son naturel optimiste la rattrape et elle continue à évoquer le futur avec enthousiasme et notamment sa vision de la suite de sa carrière. « Je dis souvent que si ça reste déjà comme ça, c’est bien parce que je n’ai pas besoin de beaucoup plus. »
Son ambition à terme, « être moins les mains dans le moteur et être plus dans la transmission pour favoriser l’émergence de nouveaux talents ». Une nouvelle dimension qu’elle commence à initier avec Sylvain. « Pour faire ce métier, il faut avoir une certaine proximité avec la jeunesse et l’enfant qu’on a en soi. Plus on grandit, plus on perd cette connexion. On n’attendra pas de se retrouver en manque d’idées, on a envie qu’il y ait de nouvelles personnes qui viennent avec des nouvelles idées. » En parlant de sororité et de transmission, elle ajoute :
« Le milieu du cinéma ou de l’audiovisuel repose beaucoup sur de la transmission orale et informelle et de l’observation, un savoir qu’on ne peut pas apprendre autrement. Je vois vraiment la sororité comme une nouvelle manière d’incarner la transmission. Le mentorat et le partage d’expériences favorisent cette transmission et permettent de faire gagner quelques années d’expériences et de galère ».
« Avant, il y avait cette idée que les infos, le savoir, c’était une arme précieuse qu’on ne partageait pas. Et j’ai l’impression qu’aujourd’hui, on renverse cette idée. On n’a pas peur de perdre le pouvoir. »
Donner ce qu’elle a pu recevoir, à l’image de ses débuts où elle s’est sentie encouragée et portée par Lila Hannou, Morgann Favennec ou Emmanuèle Petry. Avec elles, elle a pu découvrir « la transmission naturelle, sans calcul ».
Nous aurions pu continuer l’échange pendant longtemps tant l’enthousiasme et la passion de Mariam étaient communicatifs. Son optimisme et sa vision humaine de son métier de productrice laissent un sentiment de possibilités infinies.
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