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Edwina Liard – Productrice et cofondatrice d’Ikki Films par Juliette Olieu 

 

Nous nous sommes retrouvées avec Edwina Liard dans un joli salon de thé du XIVe arrondissement de Paris. Cofondatrice avec sa complice de longue date, Nidia Santiago, d’une société de production en animation, elles fêteront en 2025 les quatorze ans d’Ikki Films.

Au départ, Edwina ne se destinait pas à la production d’animation. Cependant l’idée d’accompagner et de participer à raconter des histoires afin de les partager au plus grand nombre, l’a toujours intéressée et fascinée. Des films et séries de son enfance, comme « Charlie » (1989) de Don Bluth, « La belle aux bois dormant », « Wallace et Gromit », ou « Sherlock Holmes » (série co-réalisée par Hayao Miayzaki), ont nourri son imaginaire. D’abord attirée par le domaine de l’édition, en particulier par le livre en tant qu’objet, Edwina suit son propre parcours. Après une école de commerce et sur les conseils d’une amie qui effectuait un stage dans une société de production, elle poursuit ses études dans le management culturel pendant un an. 

A la fin de ses études, elle effectue un stage dans une société de production de films « live » (prises de vues réelles), où elle est finalement embauchée. C’est dans ces bureaux partagés de sociétés de production (Polaris Film Production & Finance et Les Films du Bélier) qu’elle croisera la route de Nidia Santiago, avec qui elle deviendra amie puis plus tard, associée. Après deux ans, son envie d’élargir ses horizons l’emmène à Valence en Espagne où elle travaille pour un festival de moyen-métrages « La Cabina ». Passionnée par les échanges avec les artistes et friande d’être au cœur de la création, elle y développe son réseau pendant deux ans. 

Toujours en contact avec Nidia qui souhaitait créer sa propre société de production, elle la rejoint à son retour en France, fin 2011. Chez Polaris, Nidia avait produit un court-métrage d’animation, « Oh Willy » (réalisé par Emma De Swaef et Marc Roels) et souhaitait continuer dans cette voie avec la création d’Ikki Films. A deux, elles se sentent plus fortes pour produire à leur façon un projet et rassurer l’industrie sur leur capacité à le mener à bien, avec un regard artistique. 

C’est au festival de Clermont-Ferrand en 2012 que la machine s’emballe : elles y rencontrent Agnès Patron et Cerise Lopez, toutes deux réalisatrices, qui leur montrent leur dossier et signent leur première production d’animation à quatre mains avec Chulyen, histoire de corbeau (2015). 

En 2018, avec la nomination aux Oscars du court-métrage d’animation en stop-motion, Negative Space (réalisé par Ru Kuwahata et Max Porter), Edwina visite divers studios d’animation, notamment ceux de Disney, où elle découvre les décors de La Belle au Bois Dormant, un de ses films fétiches, ainsi que l’exposition Coco chez Pixar. Cela lui permet également de faire connaître Ikki Films à l’étranger, de lui donner de la visibilité et de créer des ponts pour de nouvelles collaborations futures.

Leurs débuts, nourris d’expériences internationales, conduisent Edwina et Nidia vers la coproduction. C’est ainsi qu’en 2019, Olivier Catherin les met en contact avec la réalisatrice slovène Urška Djukić. A cette occasion, elles retrouvent Emilie Pigeard, une animatrice avec qui elles avaient déjà travaillé. De là, débute leur collaboration avec le Studio Virc, basé en Slovénie pour coproduire le court-métrage « La vie sexuelle de Mamie » dont Ikki Films prend en charge la partie animation. A la fois singulière et universelle, cette histoire leur donne l’occasion de prendre la route de nombreux festivals (169 festivals et 32 prix) avec la sélection en 2022, au Festival International d’Animation d’Annecy (France) et les mène jusqu’au César du Meilleur Court-Métrage d’animation en 2023. 

 

 

 

 

Leur leitmotiv commun : aimer un projet autant toutes les deux pour pouvoir le produire ensemble et l’aimer de la même façon que la personne qui le porte. Elles estiment qu’il est essentiel de s’écouter mutuellement pour mener à bien leurs envies. Travailler en binôme est fondamental pour elles, dans un écosystème que Edwina considère comme vertueux. Leur réseau, créé à travers les festivals, leurs interventions dans les écoles, et les différents organismes (A.F.C.A, S.P.I.), ont donné lieu à de nouvelles rencontres. 

Plus récemment, elles se forment à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail grâce au CNC et Egaé, organisé par la région Centre pour les professionnel.les de la région, afin d’être en capacité d’écouter et de répondre si une situation relevant de VHSS se présentait durant l’une de leurs productions. 

Le système de financement français a également contribué à ce qu’elles produisent des courts-métrages adultes et de ne pas se cantonner à des réalisateur.rices venant de France, offrant une liberté d’expression rare dans l’industrie. L’animation est un langage qui les rassemble, Edwina étant particulièrement sensible à la poésie et la richesse narrative qu’elle rend possible. Ce qui la touche dans cette technique, c’est sa capacité d’accéder à un ailleurs de manière assez immédiate. Leurs choix éditoriaux sont assez éclectiques, fonctionnant aux coups de cœur pour un.e réalisateur.rice, une idée, un élément graphique ou littéraire du dossier, avec une diversité dans les techniques d’animation. Par exemple, pour le court-métrage « Gusla ou les malins » d’Adrienne Nowak, les personnages sont faits au crayon de couleur et les décors au pastel gras pour que tout soit finalement réunis au compositing. Pour « Lupus » de Carlos Gomez Salamanca, elles optent pour la stop motion et la peinture animée image par image.

Edwina et Nidia ont maintenant envie de s’attaquer à la série et développent avec Arte Numérique, à l’initiative du réalisateur David Freymond, « Planthéon les losers de l’Histoire ». Elles co-développent par ailleurs pour la première fois un programme de commande. Clarisse Tupin, productrice de Paraiso Productions, d’avantage issue du documentaire et de la prise de vues réelles, s’est naturellement tournée vers Edwina et Nidia pour leur expertise en animation. Elles co-produisent ainsi ensemble la série « Mutant.es » destinée aux 8/11 ans et explorant les thématiques liées à la puberté. Destiné à un public plus jeune, cela marque une nouvelle étape pour Ikki Films.

 

 

 

Afin de mieux structurer leur travail au quotidien et aidées par deux assistantes de production, Roxana Protopopoff et Lisa Peuch, Edwina et Nidia ont décidé de ne plus faire de coproductions minoritaires de courts-métrages comme ce fut le cas par le passé. 

Elles désignent désormais l’une des deux en personne référente de chaque production. A terme, elles souhaitent se concentrer davantage sur la série et le long-métrage. Elles forment Roxana et Lisa pour qu’à terme, ce soit elles qui gèrent les courts-métrages. Depuis peu, le quatuor se répartit les déplacements en festivals et laisse les réalisateurs et réalisatrices les contacter avec leurs projets. 

N’ayant pas de studio de fabrication, la petite équipe d’Ikki Films se réunit plusieurs fois par mois dans leur bureau de production à Tours, dans lequel travaillent quotidiennement Nidia et Roxana. Les réalisateur.rices qu’elles produisent s’y rendent et travaillent avec des équipes françaises. Ikki Films apporte un soutien artistique, avec notamment le bouclage d’animatique en amont de la fabrication et la recherche de financements. Elles ont été accompagnées plusieurs fois par C.I.C.L.I.C, que ce soit pour les aides ou leur résidence d’artistes à Vendôme. Elles se retrouvent aussi régulièrement à Paris, pour avancer sur différentes réalisations, en plus des réunions hebdomadaires et des appels quotidiens. Le travail à distance fait partie intégrante de leur dynamique. Les tâches au sein d’Ikki Films sont partagées de manière organique. 

Le défi, en tant que productrice, réside dans le fait d’avoir du recul pour savoir si un scénario est suffisamment mature pour entamer la phase de financement ou bien s’il nécessite encore du temps de développement. La semaine de travail d’Edwina est rythmée par la lecture de scénarios, séquenciers et pitchs, l’élaboration de devis et contrats, et les échanges avec les distributeurs pour discuter du marketing et de la diffusion.

Au fil du temps, Edwina a collaboré avec de nombreuses femmes dans l’animation. Actuellement, l’équipe développe plusieurs courts-métrages, séries et longs-métrages. Côté longs-métrages, il y a notamment : “Condenaditos”, coproduit en Allemagne avec la réalisatrice bolivienne Matisse Gonzalez Jordán ainsi que “Koloval”, un long-métrage mexicain cette fois-ci, réalisé par Karla Velasquez.

Le prochain grand rendez-vous est la sortie du long-métrage, prévue en juin 2025, « Amélie et la métaphysique des tubes », adapté du livre éponyme d’Amélie Nothomb, réalisé par Maïlys Vallade et Liane-Cho Han et coproduit par Ikki Films.

 

 


 

Trailer de « Chulyen » https://vimeo.com/238733048 

 

Edwina Liard – Productrice et cofondatrice d’Ikki Films par Juliette Olieu