Charlie Belin, réalisatrice par Joëlle Oosterlinck

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Dans « Drôles d’oiseaux », le dernier court-métrage de Charlie Belin, Elie, l’héroïne, retrouve le Pic vert de ses crayons, la hulotte de son magazine, les oiseaux de l’encyclopédie, bref, la poésie de ses dessins et de ses livres, dans la vraie vie. Moi, je retrouve la poésie de la vie dans les films de Charlie Belin. Pas de hasard : les petits gestes, les mots en apparence anodins, les objets du quotidien, c’est ce qui l’émeut. « Je n’ai pour l’instant pas envie d’écrire une histoire avec un flux d’actions et des nœuds dramatiques tendus. Ça ne me fait pas vibrer ». Son récent gros coup de cœur : « Perfect Days » de Wim Wenders.

 

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Charlie Belin © 

 

Charlie Belin puise ses histoires, ses dialogues, ses images, dans ce qu’elle voit, lit et entend. Tout est très documenté, tout est très documentaire. Un genre qu’elle affectionne tout particulièrement. Au point d’avoir suivi une formation à Lussas. Rien d’étonnant donc à ce que tous les films qu’elle a réalisés avant « Drôles d’oiseaux » soient construits sur une base sonore documentaire enregistrée en prise de son direct.

 

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Charlie en tournage avec Louna qui joue le rôle d’Elie

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« La Pao », son premier film réalisé alors qu’elle est étudiante à l’EMCA, ou encore « Blanquette », son film de fin d’études à La Poudrière, témoignent de ce socle issu du réel. Pour le premier, elle a posé son micro dans une pâtisserie algérienne grenobloise, et pour le second, elle a enregistré pas moins de 6 repas de famille pour n’en former plus qu’un. Des bruits du quotidien et des dialogues qui immergent le spectateur dans une ambiance, un décor. On entend le thé à la menthe couler et on y est dans cette pâtisserie, comme on se sent invité à partager la blanquette familiale quand s’ouvre la cocotte. On est là, à table, on entend des phrases qu’on a déjà entendues, ces phrases qui ne disent presque rien et qui disent tout. Le grand-père qui demande « tu l’as mis sur deux finalement ou tu l’as laissé sur 3 ? », « parce que je vois que ça n’a pas brûlé cette fois-ci », ou ce type un brin ivre qui chante par-dessus la musique de la pâtisserie, un peu faux, et c’est ça qui fait tout le charme.

 

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Charlie Belin © 

 

Pour « Drôles d’oiseaux », Charlie Belin a choisi de franchir le pas de la fiction. « Une porte s’est ouverte, un nouveau champ des possibles ». Pendant ses études à La Poudrière, elle a le sentiment « d’être passé à côté de quelque chose ». Alors qu’on les invitait à écrire de la fiction, elle a préféré emprunter d’autres chemins, et dit s’être rendu compte tardivement qu’on « peut s’affranchir du réel pour raconter autre chose ». L’idée de ce premier film de fiction naît après avoir écouté un épisode de la série documentaire radio « Les Pieds sur terre » d’Inès Leraud. Un frère et une sœur y racontent leur enfance et leur adolescence sur l’île de Souzay, un lieu sauvage près de Saumur. Les lapins qui grimpent sur la barque dans le film, c’est un de ses souvenirs à lui. Mais Charlie Belin veut en savoir plus, en voir plus, en entendre plus. Alors elle y va sur cette île. C’est le père du garçon qui témoigne à la radio qui jouera le rôle du pêcheur. Et c’est quatre générations, du petit-fils au grand-père, qui assisteront à la projection du film sur l’île. Une histoire de famille. Car oui, Charlie Belin est très histoire de famille. Son film est monté par sa sœur Billie. « Blanquette » sort tout droit de l’immeuble où cohabitaient joyeusement plusieurs de ses tantes et de ses cousines. Elie est en partie inspirée par une petite cousine farouche, toujours à quatre pattes à observer la nature. Et est incarnée, vocalement parlant, par la fille de son amie du collège. Elle évoque la mafia comme les Malaussène. C’est la famille, au sens élargi du terme. Ceux qui en font partie, ceux qui l’intègrent.

 

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Charlie Belin © 

 

Parmi les nouveaux arrivants, Mariannick Bellot à qui elle demande de co-écrire le film « Drôles d’oiseaux ». D’elle, Charlie Belin dit qu’elle a une « double casquette », celle de scénariste de fiction et de documentaire. Elle a de l’expérience, là où elle a le sentiment de « tout juste sortir du nid ». Et puis, elles ont cet amour du son en commun. Quand elle la sollicite, Charlie a déjà une idée très précise : celle d’une petite fille qui part seule sur une île rendre un livre à la bibliothécaire du CDI. Avec Mariannick Bellot, elle va beaucoup travailler sur les personnages, et notamment sur celui d’Elie. « Au départ, c’était une enfant atteinte du syndrome d’Asperger : j’ai écouté des émissions, et aussi lu beaucoup de livres là-dessus ». La scène du début vient d’ailleurs elle aussi d’une émission de radio. Elie est allongée dans la cour, tout le monde joue autour, et elle, elle regarde la lumière qui filtre à travers les feuilles. En travaillant avec sa co-scénariste, le personnage évolue. C’est une petite fille légèrement à côté, une fille rêveuse, férue d’ornithologie, et qui pense migration des cigognes quand on lui parle d’aventure. A la hauteur de l’aventure qu’elle va vivre. C’est-à-dire une aventure époustouflante, à flanc de nature, et surtout une aventure possible. C’est partir seule, embarquer avec quelqu’un qu’on connaît à peine, c’est un rapace qui frôle l’eau à grande vitesse et pêche un poisson, c’est un orage qui éclate, c’est traverser un champ de taureaux… C’est une aventure à laquelle on peut tous s’identifier, même s’il faut du courage…  Une amie lui a dit qu’elle voyait en Elie un personnage féministe ordinaire, dans le sens où cette petite fille a vraiment du cran, de la personnalité, mais qu’elle n’a pas les attributs d’un super héros. Charlie Belin a aimé ce point de vue. Une héroïne ordinaire, portée par une équipe très féminine, et elle, une réalisatrice qui a longtemps eu le syndrome de l’imposteur – les remarques misogynes aidant – à qui, avec « Drôles d’oiseaux », on confiait pour la première fois un film professionnel avec un vrai budget.

 

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Charlie Belin © 

 

Le travail sur le scénario avec Mariannick Bellot a aussi porté sur le « sensoriel ». Et c’est vrai, cette nature qu’elle affectionne tant, on la sent. Le bruit du vent, le vol des oiseaux, l’odeur de l’orage… tout comme les scènes de classe d’ailleurs. Quand Elie choisit un crayon de couleur, on le sent rouler sous ses doigts, comme on sent la tranche des livres qu’elle parcourt du même geste. Là aussi, Charlie Belin a squatté le cours de français d’une classe de collège pour observer, croquer ces gestes ordinaires ; et une résidence à l’Abbaye de Fontevraud, située non loin de l’île de Souzay, lui a permis d’y passer du temps pour sentir le paysage. 

 

Le travail graphique, lui, s’est d’abord fait seul. « J’ai fait plein de petits croquis ». « J’avais pour référence les dessins de Sempé, de Quentin Blake et des dessinateurs des années 30 que j’aime beaucoup et l’idée de retrouver un esprit 2D tradi ». C’est après, avec Charles Nogier, son compagnon, qu’elle fait ses recherches couleurs. La teinte sera aquarelle, les décors parfois esquissés et pourtant très présents, les images simples, atemporelles et poétiques. C’est le nid en haut d’un poteau électrique, c’est la queue d’un chat qui disparaît dans les hautes herbes…

 

Au final, « Drôles d’oiseaux » est « à la croisée des chemins ». Tout y est faux, mais tout y est vrai. Même la dame du CDI lui a été inspirée par l’autrice Marie-Aude Murail. Pré-adolescente, Charlie Belin dévorait ses livres – elle affectionne la littérature et a un temps hésité à se lancer en prépa littéraire plutôt qu’en dessin – quand une rencontre a été organisée dans son collège. Une rencontre marquante. Comme celle d’Elie avec cette bibliothécaire qui semble la comprendre.

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Charlie Belin © 

 

A l’avenir, Charlie Belin a encore envie d’explorer, le vrai vrai comme le vrai faux. Elle a un projet de long métrage de fiction, mais aussi de court-métrage documentaire et de série hybride. Et ne serait pas contre travailler avec Elise Vray (véridique), une documentariste, et surtout une rencontre. Car c’est comme ça que naissent ces films, de rencontres.

 

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Filmographie

« Drôles d’oiseaux »
Réalisé dans le cadre d’un appel à projets de France Télévision, 26 minutes, 2021

« Le coin »
Adaptation d’un poème d’Apollinaire pour la collection « En sortant de l’école »

« Blanquette »
Film de fin d’études de la Poudrière, 4 minutes, 2015 

« Casse-pied »
Les espoirs de l’animation, Canal J 2015

Film de commande d’une minute pour les 4-6 ans – Thème « moi et les autres, une curieuse découverte. »

« Du monde au balcon »
Exercice de 30 secondes en partenariat avec la comédie de Valence sur le thème «(no) sex, (no) city» réalisé en 3 semaines à partir d’une bande son imposée, 2014

« La baraka »
Plan séquence d’une minute sur le thème « fenêtre sur le futur », 2014

« La Paô »
Film de fin d’étude de L’EMCA, 9 minutes, 2013

« Sans lui »
Exercice d’animation documentaire réalisé à l’EMCA en partenariat avec le Créadoc