Stéphanie Clément, réalisatrice – par Delphine Nicolini

 

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Au lendemain de la cérémonie des Oscars 2024, nous vous proposons le portrait de Stéphanie Clément. En lice pour la catégorie court-métrage d’Animation du prestigieux festival, cette réalisatrice française sort de son grand chelem de prix et de nominations sans la fameuse statuette. Qu’à cela ne tienne! Aujourd’hui, Stéphanie revient avec LFA sur son parcours ainsi que sur ses très beaux projets à venir !

Les oscars ? Vous avez bien dit les Oscars ? Pour un premier court-métrage professionnel, quelle reconnaissance !
Quand je rencontre Stéphanie Clément, elle se prépare pour partir à Los Angeles et n’en revient toujours pas, même si “Pachyderme” a enchaîné les sélections et les récompenses. Nous nous retrouvons dans un café, son café comme elle dit. Elle me prévient qu’elle n’est pas à l’aise avec les mots et pourtant, je découvre une jeune femme qui se livre et me raconte sa vie en riant !

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Petite, Stéphanie dessinait beaucoup. Plutôt solitaire, les dessins lui permettaient de rendre réel le monde imaginaire dans lequel elle se réfugiait souvent. Au collège, sa prof d’arts plastiques, Madame Cadillac, repère son appétence pour le dessin et la pousse dans cette voie. Stéphanie suit alors un atelier le mercredi matin avec elle, découvre de nombreuses techniques et se sent l’envie d’aller plus loin. Madame Cadillac réussit à convaincre ses parents de l’envoyer à Marseille en internat pour passer un Bac Arts appliqués. Pour cette famille très soudée, il n’est pas simple de la laisser partir. Mais à Istres, où ils vivent, aucun lycée ne propose cet enseignement-là. 

 

Au lycée, elle dessine. Beaucoup. Elle écrit aussi des histoires, des mini-bandes dessinées. Pour ses études, elle hésite entre deux voies: le stylisme pour créer des costumes d’Opéra ou l’animation où elle pourrait continuer à  raconter des histoires.  Alors, avec des camarades de classe, elle passe et réussit le concours de Supinfocom à Arles. Pourquoi Arles ? “Parce que ce n’était pas trop loin d’Istres et que je pouvais rentrer régulièrement voir ma famille”, dit-elle en rigolant.

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« C’est à Supinfocom que j’ai vraiment commencé à toucher du doigt ce que j’aimais. » 


Elle y réalise « Anonyme », un court-métrage d’1 minute sur le thème imposé de la danse. Stéphanie n’est pas ravie du sujet. Elle a un passif avec la danse et n’a donc pas a priori grand chose à en dire: elle n’a pas aimé en faire étant petite – elle aurait préféré apprendre le Karaté comme Jackie Chan ! – 
Mais le thème est imposé ! Elle décide alors de s’inspirer de l’artiste sculpteur Hans Bellmer et de ses poupées, à la fois monstrueuses et sexualisées, pour faire un film sur la violence conjugale au travers de la danse.

Anonyme montre la danse de deux automates, un homme et une femme, deux pantins. L’homme domine et la femme qui se laisse complètement aller. Et au fur et à mesure, le dominant enlève des morceaux du corps de l’autre, une main, un bras, une jambe. La femme automate finit en morceaux, démembrée, et l’homme automate la jette en bas de l’escalier. 
“C’est avec ce film que j’ai trouvé mon médium. J’ai compris que ce qui se passe dans mon ventre, je ne suis pas obligée de le raconter avec des mots, je peux le transmettre par l’animation.

« J’ai été totalement soutenue par mes professeurs. Ils ont compris mon envie de parler de la violence domestique et conjugale et m’ont encouragée à continuer à explorer ces thèmes, même si cela me promettait un chemin un peu difficile, puisque ça n’allait pas être les sujets les plus vendeurs et les plus commerciaux du monde.” 

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Pour son film de fin d’études, Stéphanie continue dans la même voie avec “Dans l’ombre”, une libre réécriture du conte de Barbe Bleue, un livre qu’elle lisait quand elle était petite et dans lequel des choses l’interpellaient. Comme les films de fin d’étude se font en groupe, il lui faut convaincre d’autres élèves de s’attaquer à ce sujet. Pas facile de leur faire comprendre la nécessité et l’importance du projet, mais elle y parvient ! 

Dans une des versions du conte, Barbe Bleue choisit la plus jeune fille du village. Mais jusqu’à quel point la plus jeune ? Stéphanie décide que ce sera une toute petite fille et ce film lui permet de commencer à parler d’abus sur mineurs, d’emprise et d’enfermement. Cette petite fille est vraiment toute petite. Elle vit dans un monde qui n’est pas fait pour elle car il n’est pas à sa taille mais à la taille de l’ogre qui l’enferme dans sa maison. Tout est bleu parce que tout est son univers à lui. Et elle, c’est une petite tâche d’une autre couleur, une petite tâche jaune. Elle est prisonnière et essaie de sortir mais le cauchemar se répète sans cesse. 

Le film repose sur beaucoup d’images symboliques. Ainsi, quand la petite fille soulève sa jupe, elle ne voit pas ses jambes mais son lit à baldaquin. Puis, dans la récurrence du cauchemar, c’est la main de l’ogre qui sort du lit à baldaquin et qui la recouvre avant qu’elle finisse écrasée dans sa main. Encore une fois, Stéphanie continue à explorer comment dialoguer par l’image, sans mots. Et quand on regarde cette image, on a tout simplement mal au ventre.

“Dans l’ombre” fait sa petite vie dans les festivals et est acheté par Canal +. Un bon début ! 

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“A l’époque, j’ai lu un article sur un blog qui parlait de mon film et qui s’intitulait « quand Dutroux rencontre Perrault ». Au moins, le sujet est passé. Mais ça m’a marqué. L’auteur comprenait ma démarche mais ne voyait malheureusement pas bien comment est-ce que cela pouvait réellement aider la situation. Je ne sais pas si cela peut aider, mais si mes films permettent de faire prendre conscience du monde dans lequel nous vivons, c’est déjà bien.”

Après ses études, jetée dans le grand bain, Stéphanie ne sait pas trop comment s’y prendre pour trouver du travail. En attendant, elle se plonge dans un projet personnel « La petite vampire au creux de verre », un projet transmédia, à la fois dans l’édition et l’animation.

“Dans ce projet, j’utilisais la figure du vampire pour parler de la répétition dans la maltraitance, puisque la victime d’un vampire devient vampire, qui fait une victime qui devient vampire etc… l’idée était d’explorer comment est-ce qu’on transmet ce trauma ? “ C’est l’histoire d’une petite fille vampire qui regarde des enfants jouer dans une cour d’école et qui aimerait bien passer dans la lumière pour les atteindre. Mais elle est bloquée puisqu’en tant que vampire, elle doit rester dans l’ombre… Elle est obligée de vivre dans un entre-soi clanique.  

Son projet est sélectionné au Festival des Scénaristes et lors du pitch, elle retrouve d’anciens professeurs, dont Marc Rius, fondateur et producteur de la société Tu Nous ZA Pas Vus. Marc a toujours soutenu Stéphanie pendant ses études et encouragé dans son exploration de la narration par l’image. Il lui propose une collaboration; il est très intéressé par le thème traité dans « la petite vampire » mais n’est pas à l’aise avec la figure trop folklorique du vampire. Ils décident alors de partir sur un autre projet, “Pachyderme”. Marc écrit, Stéphanie crée l’univers graphique et réalise. 

Travailler avec Marc m’a beaucoup aidée. Avec les vampires, je n’étais pas ancrée dans la réalité, je ne mettais pas le problème dans un univers quotidien. Je posais un frein, un mur qu’il a enlevé en plaçant le film dans le sud de la France, dans la classe moyenne, dans une vraie réalité. « 

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« Il a écrit, on a échangé, j’ai dessiné. » 

« (Avec Marc Rius) Nous voulions faire avant tout un film visuel. J’avais conçu quelques années auparavant une image qui nous a beaucoup inspirée, celle d’une petite fille en maillot de bain flottant dans une étendue d’eau sombre composée d’une multitude de mains. Je cherchais comment représenter le souvenir refoulé, et le mouvement de ces mains introduisent un trouble. Cherchent-elles à remonter ce souvenir à la surface, ou à le replonger plus profondément encore ? 

Pour Pachyderme, j’ai repris cette image en pensant au tableau “Ophélia” (du peintre britannique, John Everett Millais) où l’on voit Ophélia, un des personnage d’Hamlet, flottant dans l’eau sans que l’on sache si elle est morte ou tout simplement endormie.“ Quelques années plus tard, le film sort, fait le tour des festivals et le voilà maintenant nommé aux Oscars! 

 

01_ Stéphanie Clément _ Pachyderme _ Recherches graphiques _ Louise flottante

 

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Aujourd’hui, Stéphanie travaille sur deux projets. D’un côté, un roman graphique sans dialogues qui parle de l’isolement affectif et la difficulté à trouver ses marques. De l’autre, une série documentaire, Bêtes d’histoires, produite par Little Big Story, sur la relation souvent violente entre l’homme et l’animal, dans l’histoire. Après 5 ans quasi en solitaire sur son court-métrage, Stéphanie est contente de travailler sur une série en équipe. Ça la repose finalement. 

“Pachyderme”, “Anonyme,” “Dans l’ombre”, le roman graphique ! Des histoires et des films sans mots sur des sujets complexes et violents. Avec toujours le même fil rouge : la violence intrafamiliale, la violence infligée aux femmes, aux enfants, l’emprise, l’enfermement.

Une amie lui a un jour demandé pourquoi elle “s’infligeait” ce type de thèmes. “Je parle de choses qui ne sont pas forcément personnelles mais dont je suis témoin quotidiennement et qui me choquent et me bouleversent. Si je dois passer des années sur un projet, il faut que ce soit un sujet qui me tient vraiment à cœur.” 

 

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Les films de Stéphanie Clément sont magnifiques, ils explorent des sujets durs, éprouvants, mais des sujets indispensables et dont il faut parler, pour tenter de laisser derrière nous un monde meilleur ». 

Madame Cadillac avait vu juste!