Retranscription – Table ronde 28 septembre 2016 – Comment réagir face au sexisme dans les studios ? par Pierre Tubiana
Table Ronde du 28 septembre 2016
Cette table ronde fait notamment suite à l’affaire Baupin qui avait soulevé le problème du sexisme en politique mais plus généralement dans tous les domaines de la société. Suite à ça, un Tumblr a été lancé pour recueillir les témoignages de femmes se plaignant de problèmes liés au sexisme dans l’animation.
Interlocutrices(teurs) principales(paux)
– Nicolas, co-créateur du Tumblr « T’as pas d’Humour »
– Mélanie, chargée de production
– Marie-Pierre, Directrice de production
– Marina Stéphanoff, Psychologue
– Isabelle Mathieu, Avocate au barreau de Paris
Table Ronde modérée par : Céline Gobinet
La genèse du Tumblr
Nicolas : Quand la question a été lancée : « y avait-il du sexisme dans l’animation ? », fait surprenant il y en avait énormément. De nombreux messages sont arrivés racontant des faits de sexisme dans l’animation. J’ai proposé à une collègue de les mettre en ligne pour ne pas perdre ces témoignages. On a décidé de créer un Tumblr. On a commencé à mettre en place des outils qui permettaient d’envoyer des témoignages anonymes. On les a publiés sans porter de jugement, sans essayer de se demander s’ils étaient vrais ou non. On voulait leur donner une visibilité.
Céline : Ce que j’ai relevé, c’est un nombre important de messages de jeunes, de stagiaires. Beaucoup témoignent de jugements sur le physique, sur la vie quotidienne.
J’ai fait partie des modérateurs du Tumblr et on a décidé de ne publier que les témoignages directs et non les propos reportés.
Des phrases comme « Les femmes, ça motive les hommes à venir travailler »,
« on ne peut pas être jolie et talentueuse » ont été relevées.
Egalement des témoignages sur le soupçon de promotion canapé, des chefs de postes qui donnent des petits noms à leurs employées, le phénomène du salaire inférieur pour travail équivalent revient beaucoup. Des problèmes de harcèlement où les filles ne réagissent pas à cause de la honte et du regard des autres, notamment. Des situations qui mettent extrêmement mal à l’aise et freinent la progression.
Marina : J’ai lu ces commentaires. Mais sur la question pourquoi « les filles n’ont pas parlé », deux approches sont proposées. D’abord, pourquoi n’ont-elles pas parlé à leurs collègues ? On soulève la notion de solidarité. Également, pourquoi n’ont-elles pas parlé à la police, ce qui soulève la notion de l’interdit, de la sanction, de la protection. Souvent ce sont des remarques qui peuvent produire une sorte d’inhibition.
Ce n’est pas très loin de provoquer certains cas traumatiques. C’est quelque chose qui crée une inhibition et à l’extrême, un état de sidération. Les autres choses que j’ai pu entendre : « pourquoi elles n’en parlent pas ? », « pourquoi est-ce plus facile de parler de harcèlement dit moral plutôt que de sexisme ? » Ce que je vois, c’est que la crudité des mots employés renvoie à la crudité des situations. C’est une effraction, « il y a quelque chose de mon intime qui est attaqué même si c’est uniquement par les mots ».
L’autre remarque, c’est que ce sont souvent des jeunes femmes et ça soulève la question de la légitimité. Elles commencent un nouveau boulot, elles se posent la question de leur légitimité, si leur travail est reconnu. Ces remarques viennent toucher cette question de la légitimité, et, si elles sont d’ordre sexuel, elles toucheront aussi l’intimité.
Céline : Certains témoignages racontent des faits qui se déroulaient lorsqu’elles étaient étudiantes, avant même d’être en poste.
Marina : Ça vient toucher une forme de vulnérabilité logique. On commence à peine et on est dans le doute. Ça peut participer à un désordre émotionnel ou psychique. On se sent mauvaise, voire honteuse, coupable. Elles peuvent penser y être pour quelque chose puisqu’on le leur dit.
Isabelle : Je voulais rappeler la difficulté de prouver le harcèlement. C’est un ensemble de petits évènements, ce qui explique aussi la difficulté des victimes à se défendre. L’ensemble de ces petits commentaires, si vous en parlez avec quelqu’un, cette personne va surement les trouver insignifiants. Sauf que, ça se répète et si l’on n’est pas relayé, on se sent très seul dans ces moments là.
Nicolas : C’est aussi lié au fait que le petit monde de l’animation est un monde de contacts et beaucoup ont peur de se faire « black-lister », de ne plus être rappelé ensuite.
Mélanie : Pour revenir sur cette question, j’ai vécu ce genre de commentaires tous les jours. Mais, en fait, on ne s’en rend pas vraiment compte. On se pose la question le matin de comment on va s’habiller. Il faut faire le choix à un moment entre s’habiller pour soi ou s’habiller pour éviter les commentaires des gens. C’est seulement en quittant ces situations que l’on se rend compte à quel point on est bien quand personne ne vient vous faire de remarques. Il y a un vrai sentiment de soulagement. Sur le moment, on ne sait pas si on a peut-être déclenché quelque chose, ou si c’est juste pour rigoler. Sur le moment, ce n’est pas agréable mais on ne se rend pas compte.
Certaines personnes se permettent de nous toucher, de mettre leur tête sur notre épaule parce qu’ils ont eu un sale moment dans leur journée. Des choses bizarres mais sur le moment on ne pense pas au harcèlement. On n’est pas à l’aise mais on ne sait pas quoi répondre. Il a fallu que je quitte tout ça pour prendre du recul.
Céline : A quel moment t’en es-tu vraiment aperçue ?
Mélanie : Je m’en suis aperçue en changeant de studio et d’équipe. Dans mon cas, c’était un monsieur de l’âge de mon père qui était en train de vivre un divorce. Il arrivait et posait sa tête sur mon épaule. Ce n’était pas un ami. Hiérarchiquement, il était au-dessus de moi. Certains jours, on répond, ça glisse et d’autres jours, on n’en a pas envie. Une fois, j’ai pris à part, trois personnes qui me faisaient des commentaires et j’ai gentiment souligné qu’aux Etats-Unis je pourrais porter plainte. Ça les a fait rire…
Marina : Il y a un mot clé dans ce que vous dites, c’est « je n’étais pas à l’aise ». Si on n’est pas à l’aise
c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Ça suffit à être légitime pour se désengager d’une situation. Ça ne veut pas dire envoyer tout balader. Dans cette situation et dans ce que vous dites, vous n’étiez pas à une place de sujet à qui il est reconnu d’avoir ses propres sensations, ses propres élans ou refus. Vous étiez utilisée pour consoler. Si vous n’êtes pas à l’aise, c’est un signal. Également, sur la question de l’humour, c’est un petit poison quotidien. Ils envoient un missile et se rétractent en mettant ça sur le compte de l’ironie. A la fois, une chose est faite et en même temps ça n’a pas eu lieu. Comme si ça n’avait aucune importance. Là aussi, on tente de vous refuser la place de sujet.
Céline : En préparant cette table ronde, on discutait aussi sur le côté très libre du monde de l’animation. La parole y est souvent libre. On est parfois victime consentante, on peut se sentir obligée de participer aux plaisanteries en tant que femme quand on s’entend bien avec l’équipe. Mais dans ton cas Mélanie, c’était ton premier job en plus.
Isabelle : Je pense que les gens le savent bien ici mais vous avez très justement relevé le caractère « bon enfant » des équipes d’animation. Les deux secteurs les plus touchés par le harcèlement au travail sont l’administration et l’hôtellerie / restauration, secteurs avec des pouvoirs très descendants. Dans l’animation, c’est un petit monde et donc la peur d’être catalogué est présente. Il y a plus de souffrances quand vous ne pouvez pas mettre un terme à une situation. La peur de le garder comme une étiquette.
Nicolas : Quoi qu’il arrive, on va être amené à revoir ces personnes, c’est un milieu de niches.
Céline : Certains harceleurs adaptent leur comportement à leurs interlocuteurs. Quand ça va vraiment très loin, c’est d’autant plus indétectable lorsque la personne est très appréciée et très compétente. Marie-Pierre, ton témoignage va dans ce sens.
Marie-Pierre : En tant que directrice de studio, j’ai travaillé avec un responsable d’exploitation d’environ 45 ans. Il avait la responsabilité de quatre salles de montage et travaillait en relation avec les directrices de production et des réalisateurs pour les choix des monteurs. Au bout d’un certain temps, les langues se sont déliées et comme par hasard, des garçons que l’on appréciait en montage disparaissaient des listes, il n’y avait plus que des filles. Pas des jeunes filles, pas des stagiaires, des femmes qui avaient du métier. Une première fois, quelqu’un vient s’en plaindre dans mon bureau.
On relativise – moi, je n’avais aucun problème avec lui. Et puis, une deuxième, une troisième et là vous vous dites que ça coince.
J’ai noté des choses qui m’ont été écrites. Et c’est effectivement une somme de plein de petites choses qui deviennent un enfer pour de nombreux salariés. Par exemple, il modifiait les plannings et les prévenait la veille ou le matin-même sans informer la directrice de production. La monteuse venait bosser et on lui annonçait que le planning avait changé et qu’elle travaillait finalement le lendemain. Il les changeait de salle de montage alors qu’on sait bien que c’est un métier où on aime avoir ses habitudes. Le travail n’était pas forcément prêt et elles devaient l’attendre. Il leur interdisait toute discussion entre elles. Il considérait aussi que les incompatibilités d’humeur étaient une faute grave professionnelle. Elles devaient lui parler un peu comme à un prince. Il faisait des tentatives d’intimidation en leur insinuant qu’elles pouvaient ne pas être rappelées. Il se trompait dans les déclarations de jours afin que les monteuses viennent le mois suivant dans son bureau pour s’expliquer avec lui et donc le rencontrer. Il rentrait dans les salles de montage sans frapper et s’approchait très près de ces dames quand elles étaient seules. Interdiction de manger dans les salles de montage, il faisait des réflexions désobligeantes, voire dégradantes. Il méprisait leur travail. Il avait quelques petites chouchoutes et évinçait certaines pour donner du travail à ses préférées. J’ai entendu tout ça et ai mené mon enquête. Je me suis rendue compte que tout était vrai. En tant que responsable, je suis allée voir la direction en leur soumettant le problème. Je l’avais vu plusieurs fois avant pour lui remonter les bretelles. Ça allait bien 8 jours puis ça recommençait. J’ai soumis le problème à ma direction qui ne m’a pas soutenue et me conseillait de mettre ce problème de côté. J’ai d’autant plus insisté que la direction envisageait de l’embaucher en CDI et que je m’y opposais absolument. J’ai alors annoncé que j’allais prendre des mesures sans que la direction ne me prenne vraiment au sérieux. J’ai demandé à toutes ces dames de m’écrire leur témoignage et je suis retournée voir la direction en leur disant que j’avais des courriers et que sans leur soutien, nous irions au tribunal. Ils n’ont rien voulu faire et j’ai alors pris seule la décision de ne pas reconduire le contrat du harceleur en lui expliquant que c’était lié à son comportement.
A des postes de direction, nous avons aussi la responsabilité du bien-être des salariés et devons agir en ce sens. Le harcèlement fait partie du mal-être et doit être pris en compte pour pouvoir le traiter.
Céline : Dans le cadre de ce témoignage, c’est un homme seul entouré de femmes.
Marina : C’est une situation où quelqu’un impose les conditions de l’emprise à travers toutes ces petites choses. Ça relève de mécanismes pervers.
Témoignage dans le public : Je n’étais évidemment pas la chouchoute mais par contre, chaque jour, je me demandais ce qu’il allait encore me faire. Tous les soirs, je sauvegardais mon montage pour le récupérer le lendemain et bizarrement une fois, il m’a perdu un montage. A partir de ce moment-là, j’ai systématiquement protégé mon travail quelque part sans qu’il s’en aperçoive. Mais si je faisais tomber une miette de mon croissant, il était derrière moi jusqu’à ce que je la ramasse. Moi, je lui ai dit ce que je pensais de lui mais une collègue ne pouvait pas le supporter et était malade le matin en venant.
Réaction du public : Il est important de noter que la perversité n’est pas que masculine et certaines femmes y participent. Par rapport à votre histoire, quelles ont été les conséquences pour cet homme ensuite ?
Marie-Pierre : Je l’avais un peu black-listé après. La direction ne m’a pas soutenue sur le moment mais j’ai introduit un autre garçon et partagé le travail en deux. Quand je me suis séparée de ce chef de poste, le nouvel entrant a repris complètement son travail. En termes de production, ça ne perturbait pas le travail. Avec la direction, il y avait une certaine confiance tout de même et j’ai pu gérer cela toute seule. Mais ça a duré deux ans.
Nicolas : Une question que l’on a souvent eue sur le tumblr : pourquoi les noms n’étaient pas visibles. On ne pouvait pas se permettre de faire la diffamation sans vérification. On voulait simplement apporter des témoignages pour dire que le sexisme dans l’animation, ça existe. Dans l’animation, il y a des stars que les studios veulent garder et qui agissent en toute impunité.
Réaction du public : Je suis dans le métier depuis longtemps, je n’avais jamais entendu parler de sexisme, mais depuis 10 ans, je trouve que c’est un fléau à plein de niveaux. Dans une entreprise où j’ai pu travailler, je me suis rendu compte que l’on demandait des photos et les jeunes femmes sont ensuite présentées comme des trophées. Lorsque l’on a engagé la plus jolie, on la trimbale dans le studio comme un trophée. J’ai réagi et quitté l’entreprise comme plusieurs personnes également. Il y a un moment où il faut prendre conscience et agir sans forcément passer par la délation. Ces situations pourrissent la vie des studios. Aux Etats-Unis, une affaire a éclaté chez Cartoon Network à cause d’un homme. Personne n’en parlait même si les filles évitaient de se retrouver seule avec lui. Une des victimes a fini par parler et finalement l’homme a été viré de sa propre série.
Nicolas : C’est l’objet de cette table ronde : on se rend compte que tout est à faire et on est là pour trouver des solutions. C’est complètement inadmissible ce qu’il se passe.
Marie-Pierre : Au travail, il y a un comportement à respecter. Chacun fait ce qu’il veut en dehors du boulot mais au bureau, il faut respecter un certain nombre de règles de respect.
Réaction : Il faut aussi, lorsque les comportements sont répétés, le faire savoir et faire comprendre à tous que cela va se savoir.
Isabelle : Il faut faire très attention cependant aux conséquences juridiques. La personne peut se retourner en diffamation ou en dénonciation calomnieuse contre vous. Il faut savoir que souvent les plus insistants sont aussi les plus violents en défense.
Réaction : Mais si on est plusieurs ?
Isabelle : C’est une affaire de ressenti et il faut faire très attention. Il n’y effectivement pas à juger le niveau des faits reprochés mais faire attention aux conséquences. Vous pouvez être sûre de vous, arriver au tribunal et voir votre dossier mis de côté ; ce qui rajoutera une autre violence du fait de l’injustice que vous allez ressentir. Au pénal, il faut une intention. L’idée est d’abord d’obtenir une décision de condamnation et ensuite vous pourrez en faire la publicité, le faire savoir. En amont, il faut être très discret sur la communication des noms, chez les avocats cela veut dire « pas d’écrits », « une communication orale ». Sinon, obtenir des documents certains, car les faits ont montré que plusieurs témoignages ne suffisent souvent pas pour obtenir une condamnation. Ne vous rajoutez pas une autre violence qui serait celle de vivre une injustice. La bonne chose, après l’affaire Strauss-Kahn, c’était tellement énorme que d’un seul coup, la parole s’est libérée et des femmes et des hommes sont venus témoigner.
Réaction : Il faut alerter les écoles et faire remonter ce problème. Les attaques portent sur tous les âges, on m’a déjà dit que j’étais « périmée » parce que trop vieille selon certains. Il faut concevoir une charte de bonnes pratiques, la mentionner. L’afficher de façon à ce que les gens la voient.
Nicolas : Apres avoir aidé à mettre en place le Tumblr, je me suis rendu compte que je pouvais avoir eu moi-même des comportements sexistes. Dans certains studios très masculins, ces pratiques permettent de s’intégrer au groupe. Il faut en parler car certains ne se rendent pas compte que leur comportement est déplacé. On a reçu des témoignages dans ce sens de garçons qui avaient lu le Tumblr et reconnu que par moments ils pouvaient avoir eu un comportement inapproprié et décidaient de changer. Nommer les choses aide à les endiguer.
Isabelle : Le règlement intérieur doit intégrer ces questions. C’est à ça que sert la législation.
Réaction : Je pense que l’idée de la charte est bonne, mais ça ne suffit pas. Je pense qu’en tant que manager, on a une vraie responsabilité de vigilance et on ne peut pas toujours le faire directement lorsque l’on est nombreux. Il faut avoir des relais. Ce n’est pas juste un écrit qui va pouvoir faire bouger les choses. On n’ose pas et c’est contre ce blocage là qu’il faut lutter. On se dédouane un peu lorsque les choses sont écrites. Il faut être vigilant. Il faut aussi veiller à l’équilibre. Je suis arrivée dans un studio extrêmement masculin et quand on retrouve un équilibre 50/50, une partie de ces situations ne se révèle plus.
Céline : C’est très compliqué de savoir à qui s’adresser effectivement. On imaginait qu’il faudrait que les entreprises nomment des référents avec qui les gens pourraient parler tranquillement, ou bien le faire au sein de l’association. Il faudrait voir comment aborder cela légalement.
Isabelle : On peut nommer des interlocuteurs mais je pense que la première étape, c’est de permettre à la victime de savoir qu’elle est victime. Il y a de la souffrance, sinon. Lorsque la personne sait qu’elle est victime, on a des armes : il y a des médecins du travail qui ne sont pas obligatoirement dans les entreprises, à qui on peut parler. Pareil pour l’inspection du travail à qui on peut demander d’agir de façon anonyme. Ils peuvent faire des enquêtes sans nommer la personne qui a accusé. Il y a des actions possibles avant d’arriver à la police judiciaire qui est l’ultime rempart. Le profil type de la victime de harcèlement moral, suite à plusieurs études dévoilées au moment de la loi sur le harcèlement, c’est une personne qui a plus de 12 ans d’ancienneté, mariée depuis longtemps, ayant des ados casse-pieds à la maison. C’est une victime parfaite car elle doute d’elle. Quant au harcèlement sexuel, la difficulté c’est que ce type de harcèlement salit la personne et il y a peu de soutien au commissariat ou ailleurs pour les personnes victimes. La victime elle-même se dit qu’elle a provoqué les choses. Les bourreaux ne recherchent pas un plaisir forcément sexuel mais une véritable emprise sur la personne.
Marina : Je réagis à la question « qu’est-ce que l’on peut faire dans nos sociétés ? ». Je me dis qu’il y a deux axes à travailler ensemble. Un qui concerne la libération de la parole des personnes qui sentent un malaise. Et l’autre axe, c’est travailler pour que les personnes qui font de « l’humour » ne se sentent pas autorisées. La charte peut servir aussi à ça, à marquer que certains comportements sont inadmissibles. Poser des bases. Je trouve qu’effectivement c’est intéressant de rappeler que la scène judiciaire est violente. Comment ne pas arriver jusque-là ?
Isabelle : On parle de harcèlement seulement depuis 2002, au moment où la question a intégré la loi. Le sexisme a été intégré en 2015. La bonne chose, c’est que les choses ont avancé depuis. Le législateur a fini par prévoir des textes après la vulgarisation du mot dans les journaux, ce qui a permis aux gens de se reconnaître dans certaines affaires et de libérer leur parole. Il faut aussi sensibiliser les harcelants, car si un cas surgit, l’entreprise va être condamnée mais aussi la personne harcelante qui peut se retrouver à devoir vendre sa maison et détruire sa vie de famille. Il y a des conséquences potentiellement graves. Il faut alerter sur les conséquences de certains actes. Il faut alerter les victimes et les harceleurs. Au sein de l’entreprise, il vaut mieux en parler à un petit groupe et ne pas trop communiquer au risque de créer des clans et provoquer des attaques en justice. Ça peut entrainer une spirale infernale. Il faut rechercher des preuves. Il faut le faire savoir à vos proches.
Définition du législateur :
- Harcèlement moral : Aucun salarié ne doit subir des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet (mais sans être forcément intentionnel) une dégradation des conditions de travail, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou contrevenir à sa carrière professionnelle.
- Harcèlement sexuel : De manière incroyable, il y a eu un trou dans la législation française pendant deux ans, suite à l’annulation de l’ancienne définition du harcèlement sexuel par le conseil constitutionnel. Un nouveau texte a été réécrit et voici la définition : Fait d’imposer à une personne de façon répétée des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ou crée une situation intimidante, hostile ou offensante.
Réaction : Quelles sont les condamnations ?
Isabelle : Ca se solde souvent en dommages et intérêts. Il a très peu de peines de prison du fait que les prisons sont pleines. Les grandes infractions sont prévues par le code pénal. Le harcèlement sexuel et moral est intégré et peut être puni de deux ans de prison mais c’est très rare. Par contre, il faut souligner que c’est aussi la responsabilité pénale de l’entreprise s’il se passe quelque chose et les patrons n’ont aucune envie de jouer avec ça. Les grosses sociétés ont intégré cela. Ces cas sont punis de faute grave, la personne reconnue coupable ne reçoit aucune indemnité et cela peut briser sa vie ensuite. La sanction est finalement peut-être plus forte que la prison.
Réaction : Comment se prépare un dossier ?
Isabelle : Le mail est un très bon outil. Il laisse une trace et permet de mettre en place ses armes. Prévenir gentiment par mail la personne qui vous harcèle que son comportement est inadapté pour garder des traces de conversation, de date. Si la personne répond, c’est parfait pour votre avocat. Il suffit d’une preuve pour que ça puisse aller mal pour lui donc ça peut tout simplement le faire arrêter. Vous allez voir un huissier et il va constater l’existence des messages ou d’un message sur la boîte vocale.
Isabelle : La preuve est libre en droit social et pénal. Il faut voir si d’autres personnes sont concernées, notamment les personnes qui ont quitté l’entreprise récemment.
Enregistrer une conversation ne sert à rien car cet enregistrement ne peut pas être produit à l’audience.
Réaction : S’il y a des femmes dans la hiérarchie, il faut les sensibiliser. C’est plus simple de parler à une femme qu’à un homme dans ce genre de cas.
Isabelle : Attention à ça, les hommes sont parfois plus violents pour réagir et se défendre face à du harcèlement que les femmes. Il ne faut pas être dans le préjugé.
Réaction : Dans un studio, j’ai remarqué qu’il y avait un problème avec une des seules filles de l’équipe. J’ai commencé à demander ce qui n’allait pas et elle ne répondait pas vraiment. Un jour j’ai surpris le problème, des garçons faisaient des montages photo d’elle à peu près tous les jours. Elle n’a pas voulu me dire qui le faisait. J’ai convoqué tous les garçons pour leur dire que c’était inadmissible et qu’ils devaient dénoncer le coupable au risque que tous soient virés. Ça s’est réglé assez vite…
Réaction : J’ai vécu des entretiens surréalistes en tant que jeune travailleuse, et je voudrais savoir sur quoi on peut légitimement se baser pour ne pas répondre à une question déplacée sans prendre de risques.
Isabelle : Les personnes sont protégées même pendant l’entretien mais il y malheureusement des débordements et c’est très difficile de prouver ce genre de pratiques.
Marie-Pierre : On néglige trop la médecine du travail. Les médecins sont tout à fait ouverts à ce qu’on parle de tout avec eux. Devant eux, on peut citer des noms et la direction aura des retours de leur part, ce qui peut les aider à réagir ou à réfléchir. Ce n’est pas seulement tous les deux ans, on peut y aller quand on veut et ils sont sensibilisés à ça.