Portrait – Zyk et Zaza par Sophie Furlaud

 

Rencontre avec Zyk et Zaza

L’envers du décor de deux décorateurs…


Zyk croqué par Zaza et Zaza croqué par Zyk

Dans le monde du dessin animé, Zyk et Zaza se comparent volontiers à de… « petites fourmis de l’ombre ». Mais n’oublions pas qu’une fourmi peut porter mille fois son poids ! On n’ose donc imaginer le nombre de décors qu’ils ont créé et fait sortir de l’ombre : Persépolis, Le Chat du Rabbin, Ernest et Célestine, Le Grand méchant Renard, Les Hirondelles de Kaboul, Titeuf, et bientôt Les nazis, mon père et moi, Tobie Lolness… Bref, une activité animée vertigineuse, depuis plus de 30 ans, signée d’un Z, qui veut dire Zazyk…

Premiers pas

Zaza, Aka Marie-Isabelle, a fait l’école Boulle, à Paris. Orientation agencement et architecture intérieure. « Ma promo était la première à comporter autant de femmes ! » Souvenir, souvenir : « Là-bas, j’ai appris à travailler le bois, le métal, à dessiner des meubles, des lieux, des perspectives… »

Quant à Zyk – soit les trois dernières lettres de Szewczyk, un nom pas des plus faciles à prononcer, il faut bien l’avouer -, il a fait l’école supérieure de l’image à Angoulême… où il a rencontré des camarades qu’il recroisera au cours de sa longue carrière : les illustrateurs Nicolas de Crécy et Hubert Chevillard, ou encore le scénariste Sylvain Chomet, futur créateur des Triplettes de Belleville.

C’est ainsi qu’au bout de quelques années, Zaza et Zyk ont fait connaissance dans un cadre on ne peut plus professionnel : lors de la mise en couleur du Pont dans la Vase, une bande dessinée de… Sylvain Chomet et Hubert Chevillard. Zyk était chef décorateur noir et blanc, alors que Zaza était cheffe décoratrice couleur.

De ce mélange pas si détonnant, il est sorti un duo devenu couple (à moins que ce ne soit l’inverse !), qui s’est spécialisé dans le métier de « designer décor » pour le dessin animé. Depuis, souvent en équipe mais pas forcément – Zaza a ainsi œuvré en solo sur le magnifique Persépolis, alors que Zyk se lançait en mode lonesome cowboy sur les décors de Lucky Luke-, nos Zazyk, comme ils aiment se surnommer eux-mêmes, multiplient les collaborations. Ils ont plus d’une fois eu l’occasion de diriger à quatre mains une équipe de décorateurs, partageant la casquette de directeur artistique, en charge des questions d’éclairage, du design, du choix des couleurs…

Et quid de l’égalité femme/homme dans le métier ? Et Zaza de répondre : « Nous demandons toujours le même salaire quand on travaille tous les deux par souci de parité ! » Elle reconnaît que les temps ont changé… en bien ! « Quand j’ai commencé en 1982, j’avais demandé à réajuster mon salaire sur celui des hommes, ce qu’on m’avait à l’époque refusé… »

Planter le décor

Depuis leurs débuts, le téléphone sonne régulièrement dans le petit appartement de ces deux Parisiens d’adoption, amoureux de la capitale, avec à la clef, des projets parmi les plus passionnants du cinéma d’animation « à la française ».

Au commencement, il y a parfois la lecture d’un scénario ou d’un storyboard, à partir duquel tout est à inventer. Comme dans Les nazis mon père et moi, adapté d’un roman sans image, qui est actuellement à l’étape de pilote. Quant aux Hirondelles de Kaboul, pour lesquels, il n’y avait aussi qu’un roman, ils sont partis du style graphique donné par les réalisatrices.

Autre cas : l’immersion dans un univers déjà existant. Comme, par exemple, pour la série Ernest et Célestine, où il s’agissait de perpétuer un univers déjà installé dans une ribambelle d’albums jeunesse et même un long métrage. Là, il faut créer, imaginer des lieux, mais en même s’inscrire dans une continuité.

Parfois – souvent, même -, il y a une bande dessinée à adapter. Car, même dans une BD, malgré la profusion d’images, le décor reste à inventer et « toutes les portes sont ouvertes », y compris dans une série en 3D, comme Le Monde d’Idéfix, où ils ont dû recréer Lutèce à la manière d’Uderzo. « Une première pour nous ! », s’amusent-ils.

Mais alors, comment faire sien l’univers d’un autre ? Quelle atmosphère créer ? Comment « partir dans le décor », pour ainsi dire ?

Pour Ernest et Célestine, par exemple, il fallait imaginer le « monde du dessous », le monde sous-terrain de la souris Célestine. Or, il n’y en avait aucune trace dans les livres de Gabrielle. Alors Zyk et Zaza ont tâtonné, fait des propositions, en essayant d’être le plus fidèle à l’œuvre de la créatrice, « le plus fidèle à ce qu’elle aurait pu dessiner, mais n’a pas dessiné. »

Les documents sont parfois plus abondants. Pour les décors de Dilili, Zaza a rejoint l’équipe de décorateurs pour retoucher des photos actuelles de Paris faites par Michel Ocelot afin de les transformer en vieux Paris. A la manière des historiens, « il a fallu trier, gommer certains détails, pour faire revivre la Ville Lumière. » Même chose avec Marjane Sastrapi, qui lui a fourni beaucoup de documents iconographiques sur l’Iran.

L’inspiration peut aussi venir de la vie de tous les jours, comme avec Zep, qui a exhumé des photos de son école en Suisse. Zyk et Zaza vont parfois chercher des idées à deux pas de chez eux, dans les ruelles et le boulevard de leur quartier de l’est parisien, où « tout raconte déjà une histoire » D’autres fois, ils partent un peu plus loin. Au cœur de ce paysage bucolique, par exemple, où, au cours d’une randonnée, ils tombent par hasard sur une petite bicoque en ruine, qu’ils s’empressent de dessiner pour la faire revivre dans la bible d’Ernest et Célestine.

Avant de se lancer dans un nouveau décor, Zaza et Zyk n’hésitent donc pas à partir on the road, avec leurs appareils photos et leurs carnets de croquis. Pour créer le monde de Célestine, destination le Sud de la France, où l’autrice, Gabrielle Vincent, décédée il y a une vingtaine d’années, avait sa résidence secondaire. Quoi de mieux pour trouver l’inspiration que de fouler des pieds et des yeux l’endroit où la créatrice d’Ernest et Célestine passait ses vacances ?

Surtout qu’un jour, Zaza et Zyk ont fait la connaissance d’une dame, Sabine Allaeys, ancienne voisine de Gabrielle. « Et là, un petit miracle s’est produit ! » Sabine avait 8 ans lorsqu’elle a rencontré l’artiste, qui lui faisait des dessins, lui racontait des histoires. Un peu comme si, par la grâce de cette rencontre, Gabrielle renaissait sous leurs yeux…

Les décors se sont ensuite imposés à eux naturellement. « Ces villages troglodytes, hauts perchés, qui peuplaient la région ont été la base de notre composition. Les infiltrations, les égouts, les excavations… Tous ces éléments ont été très inspirants pour créer le monde sous-terrain de la souris ! »

Pour la « ville du dessus », chez l’ours Ernest, autre destination : Zaza et Zyk, comme de vrais reporters, ont sauté dans le Thalys, jusqu’à Bruxelles, où vivait Gabrielle. Dans les décors, on reconnaît des lieux de la ville. Le Palais de Justice par exemple, qui a des allures du château de Kafka. Autant de petits clins d’œil pour ceux qui connaissent la capitale belge.

Réinventer un style

Si, comme dirait Aragon, tout est affaire de décors, tout est aussi affaire de style. D’ailleurs, se souvient Zaza, « au début de notre carrière, on devait prouver que l’on savait dessiner ! Et on se mettait beaucoup de pression ! » Zyk, lui, n’a pas oublié sa rencontre avec Moebius, alors qu’il travaillait sur Blueberry, un projet qui ne s’est finalement pas fait. Il s’était coincé les nerfs de la main en sortant du train pour aller au rendez-vous ! On imagine volontiers que se retrouver nez à nez avec l’immense Moebius, qu’il admirait tant, devait être un peu inhibant. « Mais aujourd’hui, ça va mieux, on est reconnu »

Il n’empêche : avant de se lancer dans la création des décors proprement dits, il faut d’abord se mettre d’accord sur un style graphique : « Notre fonction est de faire des propositions harmonieuses » Pour Ernest et Célestine, par exemple, le duo a commencé par faire le dessin au trait fin et la couleur à l’aquarelle, afin que le rendu résonne avec les albums, sans « dénaturer l’ambiance ».

Pour le Chat du Rabbin, le graphisme était un peu différent, le trait plus prononcé, plus spontané, plus vif. Joan Sfar a fait un premier dessin, qui a donné le la pour la suite. « Et pour les couleurs, il avait envie que l’on réinvente un monde à la Matisse, en broyant des pigments. Ça nous a donné une vision, même si on n’est pas forcément allé dans cette direction. »

Dans Persépolis, raconte Zaza, « j’ai fait des propositions de matières dans les noirs et blancs, avec des nuances de gris. L’idée était de rester dans l’univers pictural noir et blanc à la Vallotton qui a inspiré Marjane. »

Petites mains pour travail de titan

Concrètement, leur travail de décorateur consiste à isoler tous les objets du décor : un verre, une chaise, un bateau, de manière à ce qu’ils puissent être animés aussi bien en 2D qu’en 3D. Lorsqu’ils créent un décor, Zyk et Zaza font toujours des dessins indépendants, avec différents cadrages et différentes perspectives. « Plus nos décors seront réalistes, plus ils pourront resservir ! »

« Nous sommes un peu le chef op du dessin animé. » Pour Ernest et Célestine, ils créent ainsi une sorte de nuancier, un « color script » , qui, comme son nom l’indique, « raconte » la manière dont la lumière évolue à travers le film, la nuit, au petit matin, dans la brume, etc.

Enfin, une fois les décors de référence posés, les décorateurs entrent à nouveau en scène pour faire les lay out (les contours du cadre), l’encrage, puis la couleur.

Ce métier minutieux demande donc énormément de temps : « c’est un travail de longue haleine, qui peut prendre des mois ou des années » Zaza a ainsi passé plus d’un an sur Persépolis, et le duo cinq ans sur Ernest et Célestine !

Mais ça en valait la peine, puisqu’en décembre 2017, notre équipe de choc a reçu une sacrée reconnaissance en décrochant le prestigieux prix du « Emile award » (une cérémonie organisée à Lille pour la 1ère fois, qui récompense chaque année les acteurs de l’animation mondiale) dans la catégorie « Best Background and Character Design » pour Ernest et Célestine, la Collection.

Nos super petites fourmis sont reparties avec leur trophée en bois et en résine sur leurs dos. Il trône fièrement à côté de leur chat japonais porte-bonheur – oui, celui qui fait coucou avec sa patte ! – dans leur salon. Et depuis, Zaza et Zyk sont déjà en route vers d’autres projets, histoire de changer encore de décor !

Sophie Furlaud