Portrait – Souad Wedell par Nora Thullin

 

 « Artiste du mouvement » : c’est ainsi que se définit Souad Wedell, animatrice stop motion. Rencontre avec une créatrice aux mains d’or.

Des maisons de poupée à l’animation, il n’y a qu’un océan

Californienne d’origine, Souad arrive en France à l’âge de 18 ans (un premier amour en guise de traversée de l’Atlantique !), prend ses quartiers à Rennes, s’engage dans une maîtrise d’arts plastiques. L’animation se manifeste alors sous le visage d’Yvon Guillon, producteur, qui crée, au mitan des années 90, AFRICA (Atelier de formation, réalisation et d’initiation au cinéma d’animation), formation de 9 mois dédiée au volume animé.

Souad se souvient alors combien elle a aimé, petite, créer et décorer des maisons de poupée. Le miracle opère : voilà qu’une passion d’enfance devient un métier ! Souad entre dans la danse, pour ne plus en sortir : fabrication de marionnettes, de décors, d’accessoires… Autant de pratique et de connaissances des possibilités et contraintes des volumes qui facilitent, aujourd’hui, le dialogue avec le réalisateur, les techniciens ou le chef opérateur.

Après une première collaboration avec JPL Films, les projets s’enchaînent. Souad se spécialise dans l’animation de volumes : donner vie, de la manière la plus naturelle qui soit, aux personnages et éléments du récit, c’est-à-dire mettre en mouvement, fraction par fraction, millimètre par millimètre. Une opération qui requiert autant de technique que de sensibilité… Comme Souad aime à le souligner : « Les films en stop-motion sont des aventures humaines profondes et de longue durée, où l’on est invité dans l’intimité créative et sentimentale d’un auteur qui a porté son projet souvent pendant des années, et où l’on donne tout notre savoir-faire et notre sensibilité ».

Insuffler le mouvement

Chaque plan fait ainsi l’objet d’une préparation minutieuse : installation du plateau, placement des décors et des marionnettes, paramétrage de la lumière… – une étape qui exige parfois plusieurs heures ! Au préalable, Souad a effectué une série de répétitions avec le réalisateur, afin de coordonner très précisément les axes structurants de la séquence : positionnement de la scène au cours du récit, attention à la justesse de l’émotion du personnage, définition du jeu d’acteur. Les voix ont d’ores et déjà été enregistrées : au mouvement de les accompagner à présent ! « Nous sommes des acteurs invisibles qui suivent d’autres acteurs », sourit Souad.

Vient alors la mise en mouvement. Opérer le déplacement du corps de la marionnette dans l’espace, et donc dans le temps, implique la décomposition du geste et de la posture en phases successives. Souad prévient : « C’est un apprentissage laborieux ! Il faut compter 5 ans de pratique pour maîtriser la mise en mouvement ». Car à raison de 12 images par seconde en moyenne (mais cela peut monter jusqu’à 24, comme dans l’animation en 2D), il est nécessaire d’anticiper précisément chaque phase afin de restituer le mouvement dans toute son ampleur et… son essence.
Ainsi, pour Raymonde ou L’Évasion Verticale, de Sarah Van Den Boom, Souad a suivi la voix chavirante de Yolande Moreau incarnant une chouette en mal d’amour et déclamant son désespoir à une impassible statue de la Vierge. De même, Bear Hug, de Margrethe Danielsen – où la fragilité et la délicatesse d’un petit ourson emplit l’écran face à la férocité de protagonistes harceleurs – nécessitait de générer des cercles à la surface de l’eau, faite de plexiglas. Souad a alors animé de petites gouttes en pâte à modeler transparente, « un exercice de patience qui me plongeait dans un état d’intense méditation ! ».

L’animation s’avèrera d’autant plus exigeante que le mouvement est complexe et les enjeux émotionnels du récit élevés. À cet égard, Un Cœur d’Or, de Simon Filliot, met en scène deux femmes qui se battent, s’arrachant et s’échangeant des morceaux de chair. Du thé Earl Grey avait été mêlé à la pâte à modeler afin d’obtenir la texture adéquate : « Ça sentait bon, mais nous étions soumis à la cruauté psychologique du moment, une phase à la fois, pendant des jours ! », se souvient Souad. Sans compter que la matière grumeleuse des marionnettes tendait parfois à se détacher…

Cette exigence de véracité peut aller jusqu’à la création de « non-mouvement ». Ainsi, Mémorable, de Bruno Collet, demandait beaucoup de réalisme dans l’animation. Souad a alors créé de « faux fixes » destinés à animer le personnage alors même que celui-ne ne bougeait pas : presque imperceptible, l’infime variation des poses successives restituait une douce impression de respiration…

Plus précisément, c’est cette parfaite maîtrise du langage du mouvement qui permet à l’animatrice de véritablement jouer, à l’instar d’une comédienne : « On interprète le personnage, ses expressions… Au fond, je suis une actrice au service d’un réalisateur », estime Souad.
Intervenant majoritairement sur des films d’auteur, la créatrice est également sollicitée dans le cadre de la réalisation de pilotes – ainsi, pour Dimitri, série conçue par la réalisatrice Agnès Lecreux. « Un marathon ! », reconnaît Souad, qui se souvient y avoir battu son record d’animation : 72 heures d’affilée ! On connaît le succès qui s’en est suivi…

Coproductions et caravane

Basée à Rennes, pôle d’excellence de l’image animée, Souad collabore principalement avec deux studios – JPL Films et Vivement lundi ! Toutefois, l’animation en volume fait également l’objet de coproductions internationales, notamment avec la Belgique et la Suisse. « C’est un petit milieu, nous finissons par tous nous connaitre », sourit Souad.

Faire connaître l’animation en volume auprès des professionnels comme du grand public constitue également un enjeu auquel est attachée la créatrice. Ainsi, pendant plusieurs années, Souad a fait partie du collectif rennais Happy hands. Avec, à leur actif, la Caravanim’ ! Hébergeant personnages, décors et costumes de films produits en Bretagne, une caravane accueillait, aux festivals d’animation de Bruz (devenu Rennes) et d’Annecy, grand public et professionnels afin de présenter et expliquer, inlassablement, les multiples possibles permis par la stop motion.

Souad assure actuellement le suivi de la fabrication de pantins en papier découpé pour Le Secret des mésanges, long-métrage en co-production avec Folimages. La créatrice est parallèlement engagée sur la fabrication de décors et l’animation de personnages chez JPL Films – « un travail d’équipe, qui est au cœur de tous les films, et nous laisse remplis de modestie et d’appréciation du travail de nos collègues », ainsi que sur un long métrage en stop motion, pour lequel elle anime le teaser.

De belles réalisations à venir, avec toujours, au quotidien « l’émerveillement d’avoir le droit de faire ça ». « Je vis mon métier comme un cadeau », résume Souad. Car des maisons de poupée à l’animation, il n’y a qu’un pas…