Portrait – Marine Laclotte par Sandrine Henry

 

Portrait3_Marine Laclotte et son César

Cette année, les César ont mis en lumière la talentueuse Marine Laclotte, pour son court métrage d’animation, Folie douce, folie dure. Lors de notre entretien, j’ai rencontré une jeune femme inspirée et inspirante, qui cherche avant tout l’authenticité et l’altérité, pour y dévoiler l’humanité de ses personnages.

 

Marine dessine depuis toute petite. C’est son moyen d’expression. Elle suit un atelier de peinture en jardin d’enfants et aime recopier les bandes dessinées de son frère. Les cours de théâtre auxquels elle participe jusqu’à ses 18 ans, lui donnent aussi le goût de raconter des histoires et de les mettre en scène. 

Au lycée, elle intègre une section arts appliqués exigeante où l’on demande aux étudiants de faire preuve de maturité dans leur vision et pratique de l’art. Un de ses professeurs apprécie sa façon originale de scénariser avec humour ses exercices académiques. Il lui conseille vivement de faire des études supérieures dans le cinéma d’animation. 

Marine, qui n’a encore aucune idée arrêtée concernant la suite de ses études, s’ouvre à ce domaine et y découvre un monde qui la fascine. Ses études en Cinéma d’animation à l’ESAAT à Roubaix se font dans un rythme de travail aussi intense qu’au lycée. Elle découvre l’art du dessin en mouvement et de l’écriture scénaristique. Elle étudie la mise en scène et apprend à parler la langue du Cinéma. Elle commence à construire ses références et développe son univers. Puis à l’EMCA à Angoulême, elle poursuit son travail personnel et expérimente à travers de nombreux exercices son langage graphique et cinématographique. 

Au sein de cette école, dans le cadre d’un partenariat avec le CREADOC (filière spécialisée dans l’écriture de création et la réalisation documentaire), elle coréalise son premier court métrage, Ginette, avec Benoît Allard. Elle met en image le documentaire radiophonique de cet étudiant, intitulé Ombres Paysannes, qui interroge la place des femmes dans le milieu paysan.

Portrait2_Marine Laclotte dans son travail

 

Marine étant elle-même issue, des générations avant elle, d’une famille paysanne, le sujet la touche : « Ces femmes vivaient essentiellement dans l’ombre de leur mari alors que c’était elles qui faisaient tourner la baraque ». Parmi les différents témoignages audios que Benoit a recueillis, Marine est particulièrement sensible à celui de Ginette, une vieille dame qui prend du recul sur sa vie de femme, de mère, d’agricultrice et se livre avec sincérité. C’est ici que Marine rencontre le documentaire animé.

Elle perçoit alors « qu’il n’y a rien de plus juste que de raconter une histoire vraie, portée par le témoignage d’une personne qui ressent ce qu’elle dit. ». L’expérience est enrichissante mais la rencontre avec cette femme lui manque : « J’avais peur de ne pas être juste dans ma représentation de Ginette, de la caricaturer malgré moi. » Elle s’est alors promise de recommencer l’expérience du documentaire animé, en étant présente et impliquée dans la phase de tournage sonore, pour s’imprégner de la gestuelle et des émotions corporelles des personnes qui deviendront les personnages de ses films.

Marine aime créer ses propres projets « et par-dessus tout, donner une âme à ses personnages en les animant. Tous les petits gestes, les regards, les expressions de visage… chaque détail ajouté à l’animation d’un personnage participe à lui donner de la chair. Et ces détails-là s’observent dans le réel ! ».

Frank Krabi, son film de fin d’étude, est une fiction. Pour être au plus près de son récit, elle s’inspire de son voisin marginal et de son vécu à Cadillac, sa ville d’enfance en Gironde. Depuis toute petite, Marine côtoie la maladie mentale à travers les récits de sa mère qui travaille à l‘hôpital psychiatrique de la ville et les nombreux « fous » qu’elle croise fréquemment dans les rues. « Dans ce film, j’avais envie de parler de la bizarrerie de certaines personnes que je voyais avec poésie ».

Pour incarner la voix de son personnage, elle fait appel à son ancien professeur de théâtre, « un homme plein de poésie et lui-même doté d’un grain de folie créatif ». Ils improvisent ensemble les monologues de Franck sur les 14 minutes d’animatique de son film. Ils donnent ainsi corps à cet homme solitaire et un peu « fou », qui passe sa vie avec les crabes : « Il les aime de manière obsessionnelle : il les ramasse, leur parle, leur chante des chansons, les collectionne, les analyse, les enterre lorsqu’ils meurent. Mais il les mange aussi ! Ils sont si bons ».  Le film est sélectionné dans de nombreux festivals.

Film_Franck Krabi_portrait Marine Laclotte

Sur un coup de tête, Marine postule ensuite à la saison 2 d’En sortant de l’école, qui rend hommage à Robert Desnos. Elle propose une adaptation du poème Papier Buvard, dans lequel elle lit le récit d’une femme à différents âges de sa vie. Elle explore dans ce court métrage de commande, une forme de mise en scène tout en souplesse, où les tableaux s’enchainent et s’entremêlent grâce à une animation fluide.

Après cette première expérience de réalisation dans le milieu professionnel, elle entame l’écriture de Folie douce, folie dure, dans une continuité de sujet avec Franck Krabi.

Elle a envie de parler des personnes qui vivent en hôpital psychiatrique et décide de revenir au documentaire animé. Choisir ce format, c’est aussi pour elle une façon de se confronter personnellement « à la folie et rencontrer ces personnes qui souffrent de troubles mentaux pour montrer qui ils sont vraiment […]. J’avais envie d’évoquer les différentes nuances de folie en m’intéressant aux humains qui se cachent derrière ces troubles. J’ai rencontré dans ces lieux beaucoup de douceur, des gens très touchants, drôles, créatifs qui m’ont inspiré de la tendresse. En même temps, on ne peut ignorer la rudesse de la maladie. C’est ce qu’évoque le titre du film. Mais on a plutôt tendance à raconter le côté tragique de ces patients dans les médias plutôt que de montrer leur humanité. »

Marine s’immerge avec son ingénieure son dans plusieurs unités psychiatriques de long séjour. Elles tournent parmi des équipes soignantes bienveillantes, qui ont eu le temps de comprendre leurs patients et de décoder leur langage. Elles n’y captent que le son « pour s’imprégner, observer, être dans l’échange, rencontrer et partager des choses. Une fois le tournage terminé, le temps qu’impose le développement d’un film d’animation m’a permis de mettre à distance le superflu de ces rencontres pour qu’il ne reste que l’essentiel. Nos souvenirs impriment ce qui nous touche. C’est la sincérité de mes émotions et des relations créées qui m’ont permises d’être juste »

Ses choix restent intuitifs : « Je suis partie convaincue de mon sujet. Je savais que j’allais rencontrer des gens qui valaient la peine d’être connus. J’ai laissé le film se construire tel qu’il devait être, sans avoir une idée figée de ce qu’il allait être. »

Cinq ans de conception et de fabrication plus tard, son film reçoit de nombreuses récompenses en festival, dont le César du meilleur film de court métrage d’animation 2022. « Ce prix, c’est un truc de dingue que je n’avais pas du tout projeté. Ça me rend plus confiante sur ma méthode. C’est la preuve que ce format-là a une certaine force. Aujourd’hui, je commence un nouveau projet et je suis à nouveau guidée par mes intuitions mais mon souci de justesse s’accompagne toujours de doutes ! »

 

En sortant de l_école_Papier Buvard_portrait Marine Laclotte

 

« Et si ! », son prochain film en cours de développement, sera de nouveau un documentaire animé car « l’animation sert le réel à fond. Elle va même plus loin que ce que le film en prise de vue réelle peut raconter. On peut tout projeter, déformer, retranscrire en matérialisant une émotion par le dessin. Tout y est possible ». 

Dans ce film, Marine se fait la porte-parole de « ce que les 38 enfants d’une école primaire de la Drôme ont envie de dire aux adultes qui font le monde d’aujourd’hui ». Et si on refaisait le monde avec le point de vue des enfants ? Et si on arrivait à changer le monde ?!

Elle est allée chercher des réponses à ses questions à l’école du Colibri, installée dans une ferme agro écologique en pleine nature. Dans cette école, au même programme scolaire que les écoles publiques, la priorité est donnée à l’humain, à la coopération et à tout ce qui est vivant.

On y apprend aux enfants « à réfléchir, à s’écouter, à avoir confiance en eux, à respecter la singularité de chacun, à construire une pensée collective, sans se mettre en compétition ».

Ils apprennent aussi à faire avec la nature et à la préserver. Ils s’occupent d’un jardin potager et sont en interaction constante avec chaque corps de métier de la ferme.

Marine a envie de montrer avec ce film « quels enfants ce type d’apprentissage génèreIls intègrent de vraies valeurs humaines et cela fera des adultes plus conscients et respectueux de l’autre et de l’environnement ».

Ce qui l’inspire avant tout c’est de « parler d’humain, d’aller vers les autres pour rencontrer des personnalités différentes, des histoires de vies, des gens singuliers et banals à la fois mais aussi, comment on fait pour s’inscrire au monde avec ce que l’on est ».

Concernant son parcours de femme, « je ne sais pas si mon parcours aurait été différent si j’avais été un homme. Tout mon cursus scolaire s’est fait dans des classes à grande majorité féminine. Lorsque j’ai intégré le milieu professionnel par le biais de la collection En sortant de l’école, nous étions à nouveau en grande majorité des femmes (1 réalisateur et 12 réalisatrices…). Peut-être qu’historiquement les hommes sont moins encouragés à exprimer leurs émotions, à être dans la sensibilité, l’altruisme, et ce sont ces valeurs qui ont guidé mes choix professionnels. C’est peut-être pour cela que je me suis toujours sentie à ma place : une femme à l’écoute et sensible…Haha, Je n’ai rien révolutionné ! 

J’ai le sentiment que les hommes occupent beaucoup les postes techniques, qui exigent une certaine maitrise et performance… ou alors ils sont réalisateurs sur de gros projets. Encore une fois, la société a de quoi changer pour que nous nous sentions tous légitimes à être à la place qui nous correspond. Je m’estime chanceuse de n’avoir jamais vécu mon identité sexuelle comme un frein dans ma carrière professionnelle. Alors, vive les hommes sensibles et les femmes performantes ! Et vice-versa… ».

 

Portrait1_Marine Laclotte

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