Portrait – Marine Lachenaud par Anna Karaolanov

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Sa licence d’arts du spectacle en main, Marine Lachenaud se rend, un peu désespérée, au centre d’orientation de sa fac. Quand elle demande vers quels métiers elle peut se tourner avec son diplôme, on lui répond avec beaucoup de pessimisme : « pff, y’a rien à faire ! »… Mais n’ayez crainte, cette histoire tourne bien ! C’est le récit d’un parcours de scénariste que vous allez découvrir dans cet entretien réalisé à l’automne dernier.

 

Peux-tu nous raconter comment tu en es venue à écrire des séries d’animation ?

Mon frère, Cédric Lachenaud, qui est aujourd’hui réalisateur d’animation chez Studio Hari, a fait ses études à l’Institut International du Multimédia (IIM) – Léonard de Vinci où il a rencontré Gaëlle Bellan, une intervenante en scénario. Il m’a conseillé de la contacter à la suite de ma licence. Gaëlle avait écrit sur la série Engrenages, et étudié au Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (CEEA). Elle m’a aidée à préparer le concours d’entrée au CEEA, que j’ai intégré en 2011. Mes deux années passées là-bas ont été géniales ! J’ai découvert que je m’épanouissais en écrivant de la comédie pour enfants (et c’est d’ailleurs dans ce domaine que j’ai obtenu le plus de travail par la suite).

Depuis toujours, avec Cédric, nous aimons regarder les films Pixar et Disney, mais aussi les Miyazaki et tout ce qui est produit par Cartoon Network. Pour autant, je n’avais pas réalisé que le métier de scénariste d’animation existait. Pour moi, c’était exclusivement réservé aux Américains. Donc, quand je suis entrée au CEEA, je pensais devenir scénariste de séries TV ou de cinéma. Et en première année, j’ai suivi l’atelier d’écriture de Claire Paoletti. Nous devions écrire un épisode de la série Titeuf, dont Claire avait dirigé l’écriture de la saison 1 et 2. Et là, j’ai eu une sorte de déclic. En écrivant, tous les obstacles que je n’arrivais pas à dépasser dans les autres cours, disparaissaient. Tout m’a plu : l’univers, le rythme un peu punchy, le ton, le côté sitcom.

En sortant du CEEA, j’ai commencé par écrire sur une série TV en live puis, petit à petit, j’ai essentiellement écrit pour l’animation. Ce qui a joué également, c’est que mon projet de fin d’études était un script de long-métrage d’animation, Tombés du Nid, et qu’il a obtenu la mention spéciale au Prix Junior du Meilleur Scénario en 2012 (ex-SOPADIN). J’étais la seule à avoir écrit un scénario pour l’animation. Le film ne s’est jamais fait, mais il m’a servi de carte de visite pour la suite. Toujours avec mon frère, nous avons été jusqu’à réaliser un teaser et reçu des aides du CNC. Ce projet nous a permis de nous lancer et de rencontrer des producteurs. Nous nous sommes formés ensemble, en travaillant sur plusieurs séries d’animation. Lui a ensuite travaillé en tant que modeleur 3D chez Gaumont et il m’a aidé à comprendre les limites de la narration au stade du scénario, car beaucoup des choses que j’écrivais étaient trop complexes à mettre en scène. 

 

En quoi le poste de lectrice pour TF1 Jeunesse a-t-il aiguisé ton regard de scénariste ?

Après le CEEA, j’ai été lectrice pour TF1 Jeunesse pendant 7 ans. Cette  expérience a été très formatrice. J’ai vu passer tous les pitchs de la série Maya l’Abeille, par exemple. Puis tous les synopsis, tous les scripts. Ensuite, j’ai été lectrice sur la série produite par Blue Spirit, Kikoumba et j’ai lu du pitch au script, pour les 52 épisodes de la saison. C’était long mais j’ai tellement appris ! J’ai compris comment ajuster les textes pour qu’ils soient validés. 

En plus de cette expérience, j’ai aussi travaillé en production pour appréhender les enjeux du métier autrement qu’à travers mon prisme d’auteure. Je voulais voir comment les réalisateur·rices et/ou les producteur·rices, cherchent et envisagent les projets, mais également comment un projet se monte financièrement.

 

Comment en es-tu arrivée à faire de la direction d’écriture ? En quoi ça consiste exactement ?

C’est grâce à mon expérience de lectrice chez TF1. J’ai aussi écrit sur certaines de leurs séries parce que je connaissais bien les projets, les personnes qui en étaient en charge, ainsi que leurs attentes. Je n’étais pas lectrice sur les séries sur lesquelles j’écrivais, évidemment !  

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J’ai aussi écrit pour France Télévisions sur Ernest et Célestine, Disco Dragon, Les As de la Jungle à la Rescousse. Et lorsque La Chouette Cie a cherché un·e directeur·rice d’écriture pour la saison 1 de Droners, TF1 leur a suggéré de me rencontrer.

Le projet était assez conséquent pour une 1ère direction d’écriture : des épisodes de 26 minutes avec une trame feuilletonnante. Les univers des séries de Sylvain Dos Santos, le directeur créatif de la Chouette Cie, sont plutôt denses et il sait très bien manier les histoires feuilletonnantes. Le plus compliqué était de parvenir à concilier l’histoire et les cases de programmation non feuilletonnantes de TF1, en cherchant notamment des astuces pour, d’une part, conserver les éléments d’intrigue nécessaires pour l’épisode final, et d’autre part, gérer les retours de TF1 en supprimant les éléments qui ne leur convenaient pas.

J’ai vraiment pris plaisir à écrire la partie sitcom des épisodes. En tant que spectatrice, j’apprécie les moments où l’on voit les personnages vivre leur propre vie. Avec les scénaristes récurrents de la série, nous nous sommes rendu compte que nous adorions les scènes de disputes et de chamailleries. Je travaillais avec un duo d’auteurs qui avaient fini par se spécialiser sur un personnage avec lequel ils avaient eu un feeling particulier. Ils ont écrit des scènes formidables, que nous avons étirées sur plusieurs épisodes, comme des espèces de gimmicks.

La direction d’écriture demande beaucoup de management d’équipe. Je n’avais pas  prévu cela quand j’ai commencé ma carrière. Retravailler les textes avec les scénaristes, bien sûr ! Mais lorsqu’on se retrouve dans des plannings d’écriture démentiels et qu’on n’a pas assez de temps pour faire reprendre un script par son auteur·e, on finit par le faire soi-même. Sur une saison 2 par exemple, plutôt que de prendre le temps d’expliquer à l’auteur·e comment reprendre une séquence, comme j’ai dirigé la 1ère saison et qu’en général, je sais ce qu’il faut ajuster pour que ça marche, j’ai tendance à reprendre les scripts moi-même. Je sais que je peux le faire plus vite. Avec les auteur·es qui sont là depuis le début d’une série, il me suffit de les appeler et on s’entend très facilement sur ce qu’il faut modifier dans leur texte. Les plus jeunes scénaristes nécessitent plus de suivi. Je fais souvent appel à de jeunes auteur·es parce qu’on m’a aussi donné ma chance, grâce à la fidélité qui s’était créée avec TF1. Notre travail consiste aussi à savoir repérer le potentiel et savoir transmettre. Dès le début d’une collaboration avec un·e jeune auteur·e, le cadre est très clair : on lance l’écriture d’un script, mais si à la fin je dois tout réécrire, on s’arrête là. Je ne veux par ailleurs pas que les scénaristes travaillent pour rien, ou qu’ils/elles travaillent sans être payé·es. C’est un équilibre à trouver !

 

Comment choisis-tu les projets sur lesquels tu écris et les personnes avec lesquelles tu collabores ?

Que TF1 jeunesse me fasse rencontrer Sylvain et Mariam de La Chouette Cie a vraiment changé ma vie professionnelle. On discute énormément des projets ensemble. Je me reconnais dans les valeurs de leur studio. Ils ont la particularité d’être à la fois producteur·rices et auteur·es. Je travaille beaucoup avec eux et j’apprécie leurs projets.

Évidemment, je ne suis pas contre les nouvelles collaborations. J’essaie de travailler avec des personnes en qui j’ai confiance et avec qui l’on partage le même mode de fonctionnement. Dernièrement, j’ai adapté un livre jeunesse pour la société Tu Nous ZA Pas Vus. C’est la première fois que je travaille avec Marc Rius. Il m’a contactée car nous siégeons  aux mêmes commissions du CNC. Nous sommes maintenant en développement avec France Télévisions pour un unitaire de 52 minutes. Je vais le coréaliser avec mon frère pour la première fois.

La relation avec les réalisateur·rices est fondamentale. Sur Droners, j’ai adoré travailler avec Grégory Leterrier. Nous discutons beaucoup des histoires et il  fait des retours très constructifs sur les scripts. Généralement, quand on arrive au story-board, tout fonctionne.

 

Qu’as-tu retenu de tes expériences moins satisfaisantes ?

Ne pas s’engager sur des projets dont la chaîne de droits est floue. Il  y a quelque temps, on m’a demandé de réécrire le pilote d’une série qui ne convenait pas au diffuseur. Je n’avais jamais travaillé avec cet autre diffuseur ; j’avais donc l’impression de saisir une super opportunité. Mon pilote leur a d’ailleurs beaucoup plu et la production a été lancée. J’ai dirigé les 12 premiers épisodes mais cela a été pénible et tendu parce qu’il y avait beaucoup d’avis divergents sur l’écriture.

Quand on est jeune auteur·e, on pense que chaque opportunité est « la chance de notre vie ». Ce n’est pas vrai, d’autres opportunités se présentent toujours. Parfois, il vaut mieux refuser quand on ne « sent » pas un projet. 

Bref, j’essaie à présent de travailler avec des personnes que je connais bien, d’autres dont j’ai eu de bons échos ou qui m’ont été recommandées. Les conditions de travail sont en général plus agréables.

Il m’est aussi arrivé qu’on ne me prenne pas au sérieux, par rapport à mes coauteurs masculins ou par rapport aux réalisateurs. On ne s’adresse pas toujours à moi comme on s’adresse à mon frère, par exemple. C’est assez frappant. J’ai souvent été la seule femme dans les ateliers d’écriture de séries. Il m’est arrivé aussi de travailler sans directeur d’écriture. C’est la production qui faisait ce travail ; certains retours étaient très virulents avec des pages entières barrées en rouge, et même parfois des blagues qui n’avaient pas leur place dans un script de série jeunesse…  

 

Peux-tu nous parler de ta relation avec ton agent ?

Je suis représentée par Aurélie Grasso qui a fondé l’agence KAMAJI. Elle gère tous mes contrats, notamment pour la direction d’écriture. Il peut lui arriver de me recommander à des producteurs et parfois, je lui fais relire des projets que je développe. Son avis compte beaucoup pour moi, mais c’est avant tout pour la négociation de mes contrats que j’ai besoin d’elle. La relation avec un agent est différente pour chaque scénariste. Ce que j’apprécie plus que tout dans ma relation avec Aurélie, c’est sa disponibilité et sa bienveillance.

Dès que je suis sortie du CEEA, j’ai commencé à travailler sur Camping Paradis avec Julien Teisseire, de la promotion avant moi, qui écrit maintenant sur des séries Netflix (Plan Cœur, etc.). Je voulais me spécialiser dans l’animation. Claire Paoletti m’a alors conseillé de contacter Aurélie. J’ai eu un coup de cœur. C’est une agence à taille humaine. Je me sens bien entourée, et c’est le plus important.

 

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Qu’envisages-tu pour l’avenir ? As-tu des envies d’écriture particulières ?

L’histoire de l’unitaire que je développe est une histoire avec du fond qui parle de réfugiés syriens qui arrivent en France, mais vu à hauteur d’enfant. Je vais le co-réaliser et je sens que je vais apprendre plein de choses ! D’autre part, je me forme à l’écriture de romans jeunesse chez Gallimard, et j’adore ! J’ai d’ailleurs beaucoup de chance sur mon unitaire car l’auteure du livre, Myren Duval, est merveilleuse. Elle est très disponible ; elle  a adoré ce que j’ai écrit et m’a donné beaucoup d’idées. Elle n’a aucune velléité à écrire le script. Mais pour moi, c’est important de la tenir au courant. Sur le pilote de La Rose Écarlate, l’auteure des livres originaux a beaucoup insisté pour qu’on ne trahisse pas ses personnages. Une fois que le/la scénariste a cerné le « territoire sacré » de l’auteur·e original, je pense qu’il/elle peut se sentir libre de composer et d’imaginer sur la matière à adapter.

Écrire des épisodes de commande me plait de moins en moins. Sauf si vraiment j’admire le travail des artistes, comme sur Héros à moitié chez Cybergroup. À terme, j’aimerais bien écrire un long-métrage d’animation. 

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Je pense aussi que, lorsqu’on vient du milieu de l’animation, il y a peu de ponts pour basculer vers la prise de vues réelles en France. Sauf si on connaît d’autres scénaristes de live-action qui apprécient notre travail et qui nous contactent personnellement pour écrire sur leurs projets live.

Récemment, j’ai d’ailleurs écrit sur la série Vortex qui était présentée à La Rochelle et qui vient de sortir sur France 2. C’est la série de Camille Couasse et Sarah Farkas, d’après un concept de Franck Thilliez, un polar SF de 6 x 52 minutes. Mais en général, je trouve qu’il est difficile d’être prise au sérieux par un producteur ou diffuseur de séries live lorsqu’on vient de l’animation…

J’aimerais aussi écrire des séries pour ados. J’ai grandi avec Buffy contre les vampires et Charmed. J’aimerais qu’on puisse aller vers ce genre de thématiques en animation, pour les ados. Je pense que l’animation est un super médium pour s’adresser à cette cible. Visuellement, on ne traite pas les choses de la même manière quand on s’adresse à un public adulte car on peut se permettre d’aller vers des rendus beaucoup plus psychédéliques. J’aimerais bien varier les cibles mais c’est vrai qu’en général on ne choisit pas, le sujet s’impose un peu à nous. C’est comme ça !

 

As-tu remarqué un changement dans les rapports entre le milieu de l’animation et de la prise de vues réelles (live-action) ?

Je pense qu’il y a beaucoup de mépris et de méconnaissance. En plus, dans les chaînes, ce ne sont pas les mêmes équipes qui gèrent les projets d’animation et de live-action. L’animation reste encore aujourd’hui assez cantonnée aux enfants. On a peu de séries d’animation adulte en France. Autour d’une conversation avec une responsable des séries live-action de Canal+, je me suis rendu compte que tout ce que j’ai fait en animation n’a aucune valeur à ses yeux. Mais lorsqu’on écrit une série, qu’on réfléchit aux personnages, à l’arche narrative, que ce soit en animation ou en live-action, l’exigence est la même. Il n’y a pas assez de ponts, l’industrie est scindée entre auteur·es d’animation et de live, comme en littérature, entre les auteur·es jeunesse et adulte. En live, on se prive de très bon.nes auteur·es qui viennent de l’animation. On peut très bien écrire pour les deux cibles, c’est juste une question de mise à hauteur. Mes étudiants me demandent souvent s’il y a des sujets à ne pas aborder en animation, je leur réponds que non. Il faut juste trouver la bonne façon d’en parler, trouver le bon angle d’approche.

Même si certains producteurs d’animation développent des projets pour adultes, il est quand même assez difficile de trouver les diffuseurs prêts à les financer. Les plateformes pourraient être des partenaires intéressants mais il me semble que le plus important est que l’on reconnaisse enfin qu’en animation aussi, on peut s’adresser à des cibles plus âgées et raconter des histoires importantes.

 

Comment aides-tu la nouvelle génération de scénaristes à faire son entrée dans le milieu de l’animation ?

Je dirige l’atelier de création de série d’animation au CEEA depuis quelque temps déjà. Les étudiants doivent choisir entre l’atelier d’écriture d’une série quotidienne (du type Plus Belle La Vie) ou la création d’une série originale en animation. J’ai engagé beaucoup de jeunes diplômé·es du CEEA sur la saison 2 de Droners. Tous sont en binôme; c’est plus simple quand on débute, surtout pour écrire des épisodes de 26 minutes. Il y avait beaucoup d’auteur·es de la saison précédente qui n’étaient plus disponibles, et j’ai voulu renouveler mon pool de scénaristes et donner leur chance à des débutants !

 

Quels seraient tes conseils pour de jeunes scénaristes en devenir ?

Bien s’entourer, avoir un agent. Au début, on ne sait pas toujours ce qu’on veut écrire et quelle casquette on veut porter. On apprend en faisant des erreurs, mais une fois qu’on a cerné ce que l’on veut faire, il faut bien s’entourer, s’appuyer sur des gens dont on estime le travail. Par exemple, j’ai 3-4 lecteur·rices favori·tes, et leur avis compte énormément pour moi.

Un autre conseil que je peux donner, c’est de rester curieux·se, de ne pas se fermer de portes, d’aller voir du côté des autres postes pour savoir comment ça passe dans l’industrie. Tester plein de rôles différents. Il y a un temps pour tout. Il faut se servir des outils qu’on nous donne à l’école, mais apprendre à les maîtriser vient uniquement en travaillant. Et une fois qu’on a vécu toutes ces expériences, on décroche des projets de plus en plus intéressants, avec plus de confiance et de légitimité. Quand on a passé ces étapes avec succès, on sait qu’il n’y a pas de raison pour ne pas réussir la prochaine. Je pense qu’il faut se méfier des opportunités qui « parachutent » à une place pour laquelle on n’est pas vraiment préparé, ou pas assez entraîné. L’apprentissage prend le temps qu’il prend, il ne faut pas brûler d’étape et rester patient·e.

 

Sources des images
  • DRONERS – Cybergroup Studios / La Chouette Cie – TF1
  • MON CHIEN, DIEU ET LES POKÉTRUCS – Éditions du Rouergue – Myren Duval (auteure) & Charles Dutertre (illustrateur) 
  • HÉROS À MOITIÉ – Cybergroup Studios – France Télévisions

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