Mathilde Bédouet, réalisatrice – par Marine Tuloup

 

 

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Mathilde Bédouet – Crédit photo © Pierre Landais

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J’ai plongé dans “Eté 96” comme dans un album de famille, de ceux que j’ai feuilletés mille fois et dont les photos jaunies se décollent désormais derrière leur film plastique. J’y ai retrouvé le goût du sel sur la peau, du sable qui gratte, de la légèreté, des peurs enfouies et des histoires de famille. Ce court métrage de Mathilde Bédouet, entièrement réalisé en rotoscopie sur papier, aux crayons de couleur, est un véritable sésame vers les sensations de l’enfance.

 “Comme tous les enfants, j’ai toujours beaucoup dessiné. Je m’ennuyais pas mal, et pour passer le temps, je dessinais. J’adorais ça !  …je partais dans des trucs, je racontais des histoires, j’écrivais des bds…Et je n’ai jamais vraiment arrêté”.  Sa mère, ayant repéré cette appétence, lui laisse toujours à disposition “ des crayons sur la table”. Mathilde est donc arrivée à l’animation par le dessin….

 

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Eté 96 © L’heure d’été – Tita B productions -2023

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Au lycée, elle prend l’option arts plastiques et suit avec ferveur et dévotion des cours de dessin le soir, deux fois par semaine dans lesquels elle apprend les bases du dessin académique. Son bac en poche, elle tente avec succès le concours de l’école Olivier de Serres. “Je crois que ça a été une de mes plus belles années, parce que d’un coup, tu rencontres tes pairs, des gens qui… font les mêmes trucs que toi!…Tu passes tes journées à faire des croquis, tu dessines en permanence, dans une constante effervescence!” 

A la fin de sa première année, Mathilde est reçue aux Arts déco (ENSAD). Elle y entre dans l’idée de devenir animatrice et prend conscience, au fur et à mesure de ces cinq années, de son envie d’écrire des histoires et réaliser des films. 

Mathilde tente également le concours des Gobelins. “C’est une école extrêmement technique, il faut vraiment être un dieu ou une déesse du dessin pour y entrer…” . Elle n’est pas reçue mais arrive première sur la liste d’attente. Personne, à son grand désespoir, ne se désistera...

Elle termine son cursus aux Art décos, toujours un peu taraudée par cette question de la technique “ A un certain moment, j’ai eu l’impression qu’on ne nous formait pas assez sur le plan technique. J’ai réalisé plus tard que c’est finalement ce qui m’a obligé à me débrouiller, et à trouver mon propre style. 

A la sortie de l’ENSAD s’ouvre une période de doute. Elle est officiellement réalisatrice et doit mettre le pied à l’étrier, mais pas simple de rentrer dans le circuit. Elle propose un projet pour la collection ”En sortant de l’école” mais son projet n’est pas retenu. “ Je me suis retrouvée seule chez moi pendant 6 mois, c’était vertigineux. J’ai fini par me décider à monter un atelier de freelances avec des copines des Arts déco pour retrouver l’énergie collective qui me manquait. Ça a été génial, on s’est mutuellement beaucoup épaulées, conseillées notamment sur l’aspect administratif, pour les devis, pour la relation clients, Parce qu’au début, c’est vraiment difficile de comprendre comment fonctionner…tu te fais complètement marcher dessus !!”.  

En parallèle, Mathilde est embauchée en CDI par une société qui produit des films de commande. Elle réalise une trentaine de films, expérimente des techniques variées. Elle y fait ses armes pendant trois ans, affinant son savoir-faire et mûrissant son envie de projets plus personnels. C’est dans ce cadre qu’elle réalise son premier clip en rotoscopie, pour le groupe Gush, “Everybody’s god ”

 
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C’est une véritable révélation. “J’ai répondu à un appel à projet, Je me suis intéressée au groupe et j’ai eu envie de les dessiner. Jusqu’ici, j’avais beaucoup travaillé en animation traditionnelle mais plus cartoon, ce qui était assez laborieux pour moi. J’ai proposé un dessin noir et blanc, très graphique. Ils ont tout de suite accroché avec l’idée d’être représentés en dessin animé.  Et moi, j’ai découvert le bonheur de la rotoscopie: la justesse des mouvements, le dessin réaliste, c’est vraiment un truc de sensibilité à fleur de peau comme…. Comme de la porcelaine!! Un effet réaliste mais avec un truc en plus, un truc hyper gracieux !”.

Mathilde prend alors son courage à deux mains, reprend son indépendance et continue sa route en tant qu’intermittente du spectacle. Elle compte mener à bien ses propres projets tout en continuant à travailler pour d’autres. Elle est désormais représentée par Eddy production et réalise, pour eux, des publicités et des clips. Mathilde est très à l’aise avec l’idée de naviguer entre ses propres projets et des films de commandes. C’est d’une part financièrement nécessaire, mais cela lui permet aussi de prendre le temps de travailler ses projets au long-court, d’assumer le temps de fabrication que lui impose la technique qu’elle a choisie. 

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Peu après la réalisation du clip de Gush, par l’intermédiaire de son frère qui organise un festival de musique, elle est contactée par Fastlane, un groupe de rap qui cherche une réalisatrice pour leur clip. Elle réalise donc “All I knew”, cette fois ci au crayon de couleur. Elle passe 5 mois sur le film qu’elle anime seule, de manière très artisanale. Les conditions financières ne sont certes pas idéales mais Mathilde adore le clip, la liberté qu’offre ce format. “ Tu n’es pas forcément obligée de raconter une histoire, ça peut être juste des impressions, des sensations”. Mais des histoires, Mathilde a envie d’en raconter. 

Sensible au romanesque du cinéma d’Eric Rohmer dans sa jeunesse, elle est plus récemment marquée par celui de Guillaume Brac, réalisateur entre autres de “L’’île au trésor” ou plus récemment ”A l’abordage”. Elle admire la beauté et l’immédiateté de ses personnages, leur justesse et leur sensibilité à fleur de peau. “Mes premières inspirations viennent sans doute du cinéma en prise de vue réelle. Même si j’ai grandi avec Disney et Miyazaki, j’ai mis plus de temps à m’ouvrir à l’animation, c’est venu plus tard pendant mes études et dans les festivals, avec les court métrages.

 
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C’est en redécouvrant des films de famille dans la cave de son père que Mathilde a l’idée de “commencer à bidouiller un truc. “J’y ai redécouvert l’île Calott à Carentec, où nous avons passé tant de vacances. On nous voit gambader tranquilles, pendant que les parents boivent des coups en faisant un pique-nique. J’ai souvenir de beaucoup de joie là-bas, d’une immense liberté et en même temps, le souvenir d’histoires un peu sombres aussi ”. Ces rushes, réminiscences de l’histoire familiale, lui donnent envie de se lancer sur un projet documentaire. Une investigation sur le souvenir, pour confronter les différents points de vue. Elle commence alors à monter ces images retrouvées, tourne aussi de nouvelles images et interviewe ses proches.

Mathilde ne parvient pas tout de suite à trouver la ligne du film. Explorer un sujet aussi intime n’est pas une mince affaire. Son amie d’enfance, Ninon Chapuis, qui vient de créer sa société de production (L’heure d’été), l’encourage et lui propose de produire le film. De fil en aiguille, le projet se précise, le film se transforme. Mathilde décide d’ajouter des séquences en animation, pour finalement décider de le réaliser entièrement en rotoscopie. Elle écrit le scénario avec son père, Arnaud Bédouet, dont le point de vue est précieux pour reconstruire, redessiner les traces du passé. “On a extrapolé une histoire sur la base de nos souvenirs respectifs : souvenir d’enfant pour moi et souvenir d’adulte pour lui. Il a forcé le trait à des endroits que je n’aurais pas forcément imaginé ou osé. La scène de l’engueulade entre les parents par exemple. Il a mis directement les pieds dans le plat et l’a poussé assez loin.  Au départ je comptais juste l’évoquer en sous-texte, mais en fait, lui, il a assumé.”

Les scènes sont tournées avec des comédiens, sur la base de cadrage repérés dans les rushes des films de famille. C’est la première véritable expérience de tournage en prise de vue réelle pour Mathilde. “J’ai eu la chance de pouvoir compter sur une super équipe, majoritairement féminine (!), et ça c’était génial ! – Sur le tournage, ma première assistante, Marie Fouché, a fait preuve d’une grande fermeté et d’une immense bienveillance. ” 

Sur le plateau, pour Mathilde, tout est nouveau. Elle en oublie de dire “action” comme elle s’amuse à le raconter.  La direction d’acteur est un exercice complexe, « J’étais très “sur le plan”. Je savais dire quand ce n’était pas juste, mais ce n’était pas simple de l’expliquer pour diriger les comédien·nes dans la bonne direction. Pour cela il faut chercher en soi-même, trouver les mots, les bonnes images, savoir être un peu acteur·rice soi-même sans doute ! Ça demande beaucoup de ressources!”.

Pour les décors du film, elle fait appel à Fleur Pinsard dont elle admire le travail. “Je ne suis pas à l’aise avec les décors, et comme Fleur travaille aussi avec des crayons de couleurs, on a fait quelques tests qui ont tout de suite très bien fonctionné ! Ses décors sont sublimes,  ….grâce à eux, j’arrive à regarder le film sans trop subir”. Mathilde a en effet beaucoup de mal à regarder son travail à posteriori. Impossible de voir ses films avec distance, elle est immédiatement assaillie par le doute. Les festivals sont, à cet égard, très salvateurs “Le regard et le retour du public en festival permet de s’assurer qu’on a fait un film intelligible. C’est assez apaisant, ça calme les doutes”

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Flora Molinié vient également lui prêter main forte pour animer les personnages, ainsi que Marta Gennari et Jérémie Cousin qui travaillent à distance en Bretagne. Mathilde échange des cartons entiers de feuilles de papier avec les animateur·rices, que le co-producteur du film, Simon Ingelaere (Tita B productions), transporte en voiture entre Paris et la Bretagne. Le film compte 8 dessins par seconde de film, soit environ 5500 dessins (et des centaines de crayons de couleur !)… C’était évidemment flippant pour moi d’envoyer mes cartons…. On se faisait des retours par messages interposés, ils m’envoyaient des photos de leurs dessins que je commentais comme je pouvais. Ça a été un peu laborieux mais ils ont été géniaux et franchement, on a réussi à bien se comprendre malgré la distance. J’ai aussi eu la chance de pouvoir compter sur deux super stagiaires des Arts déco, Michaela Mindru et Charlotte Annereau.” Mathilde confie enfin le compositing du film à Quentin Letoux, un copain de longue date, également des Arts déco “il a fait un boulot de dingue, il a fallu tout inventer !!”. 

La production du film a bénéficié de nombreux soutiens: Bourse Lagardère, Bourse Beaumarchais, Aide à la production de la Région Bretagne, l’Aide avant réalisation etc.. Terminé début 2023, il voyage depuis dans de nombreux festivals en France (Côté Court, Trouville, Brest, Aix-en Provence, etc..), à l’étranger (DOK Leipzig, Anibar, Animatou, Imaginaria, Linoleum, etc) et vient d’être sélectionné aux Césars 2024.

Mathilde développe à présent son nouveau projet, “Dernier printemps”, un court métrage qu’elle réalisera à l’aide du même procédé. “L’histoire d’une bande d’ami·es pris·es dans le feu des premières expériences de l’adolescence. Et de tout ce qu’elles contiennent de beau, et de terrible.”

Pour Mathilde, “par son côté naïf, par la liberté qu’elle offre dans la mise en scène, l’animation permet d’aller droit au but, d’aller plus vite au cœur, de convoquer des sensations sur lesquelles on ne peut pas forcément mettre des mots. On est à la fois à distance du sujet mais plongé dans le réel… Par exemple, à chaque fois que je vois “Pépé le morse” de Lucrèce Andréa, je fonds en larmes,… ça sonne tellement juste !”.  Le cinéma de Mathilde Bédouet est de cette veine, un cinéma sensible et à fleur de peau, qui sonne juste, et dont on ressort apaisé. 

 

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Sa Filmographie:

Eté 96  www.france.tv/films/5543025-ete-96.html

Everybody’s god – Gush https://www.youtube.com/watch?v=RZb6RMKDV3Q

Fastlane – All I knew https://www.facebook.com/fastlanesmusic/videos/fastlanes-all-i-knew/409548202930220/

 

Son Site internet:  https://www.eddyanimation.tv/content/directors/138/mathilde-bn-douet/35