Anita Doron par Delphine Nicolini

 

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J’ai connu Anita Doron en mars 2023 lors d’un atelier organisé au Ghana par le festival d’Annecy ; une rencontre évidente comme on en fait peu. 

Talentueuse, passionnée, bienveillante mais aussi diseuse de bonne aventure, sa joie de vivre, son amour de l’image et de l’animation m’ont donné envie d’écrire son portrait. 

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Anita Doron est entrée dans l’animation par la grande porte, en écrivant le scénario de Parvana, une enfance en Afghanistan (The Breadwinner), réalisé par Nora Twomey. Un film dont on connaît le succès. 

L’un des producteurs, qui connaissait son style, lui a demandé de d’adapter le livre en dessin animé. L’Afghanistan intéresse particulièrement Anita et sa rencontre avec Nora se révèle fatidique ; “un vrai  match ” comme elle dit. Au-delà d’une amitié naissante, elles ont tout de suite senti qu’elles avaient le même film en tête et ensemble, ont conçu l’alchimie qui a donné le film. 

Anita a fait de nombreuses recherches de son côté et travaillé avec un ami artiste afghan pour comprendre le contexte, la culture, le quotidien, la vie d’une famille en Afghanistan et surtout, comprendre Parvana, la petite héroïne du film. Car quel que soit le film sur lequel elle travaille, Anita a besoin de s’identifier et de rentrer en connexion avec son personnage, de sentir ses émotions pour pouvoir ensuite être capable de les écrire.

“Parvana, un hasard ? Non, le destin ! “dit-elle. « Parvana m’a permis de rentrer dans le monde du dessin animé et d’en tomber amoureuse. C’est un monde où les gens sont joyeux et n’ont rien perdu de leur enfance ; c’est mon monde » !

Le dessin a toujours accompagné Anita; petite, ado et encore aujourd’hui elle dessine ; ses plans, ses scènes, ses personnages. Le dessin n’est pas son métier mais elle a besoin d’un temps à elle en amont pour dessiner et préciser l’image qu’elle cherche. Ses films en prises de vues réelles ont d’ailleurs toujours été très visuels, tant du côté de l’image que de l’écriture, “du réalisme magique”  dit-elle.

L’un de ses premiers courts-métrages, “Not a Fish Story”, raconte l’histoire d’un homme à la retraite qui rêve de changer de vie et de devenir un poisson. Sa femme, tout d’abord vexée et blessée, finit par accepter et laisse faire son mari. Elle lui permet de vivre dans l’aquarium qu’il a construit et l’y rejoint même de temps en temps. L’homme se transforme progressivement en homme-poisson et sa femme accepte de finalement le relâcher dans un lac. Le réalisme magique est déjà là et l’animation pas très loin !

C’est d’ailleurs, entre autres, en voyant ce film que le producteur canadien de Parvana l’a contactée.

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Aujourd’hui, les projets s’enchaînent, à la fois en prises de vues réelles et en animation. 

Mais avant d’en arriver là, empruntons le même chemin qu’elle.

Anita Doron est née à Berehove en Ukraine, à la frontière de la Hongrie. La ville était quasiment hongroise ; elle est allée à l’école hongroise et d’ailleurs, Berehove a appartenu à l’Austro-Hongrie du temps de ses  grands-parents puis à l’Union Soviétique à la naissance de ses parents. On comprend son intérêt pour l’Afghanistan.

En 1990, ses parents comprennent qu’il n’y a pas ou plus d’avenir dans ce pays et ils décident de partir. Sa mère ne supporte plus l’antisémitisme ambiant: Jeune, elle n’a pas eu eu le droit de faire des études car elle était juive  (elle voulait étudier l’astrophysique). Elle n’a pas voulu que l’avenir de sa fille soit aussi entravé que le sien. 

A 17 ans, Anita quitte donc avec eux l’Ukraine de manière illégale pour se rendre en Israël – avec l’interdiction de dire à ses amis qu’elle s’en va, pour les protéger. 

Un sac à dos pour simple bagage, ils laissent derrière eux. 

Elle vit 5 ans en Israël puis au Canada pendant 20 ans où elle fait ses études et démarre sa vie professionnelle. Aujourd’hui, elle vit en Bretagne dans un tout petit village qu’elle ne voudrait quitter pour rien au monde.

Au Canada, elle étudie le cinéma classique à l’université de Ryerson. L’un de ses professeurs prédit à ses élèves que seuls 1 ou 2% d’entre eux·elles deviendront réalisateur·ices. Anita a aujourd’hui accompli ce chemin.

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A l’époque, vu son caractère doux, bienveillant – féminin comme on lui disait – on lui propose d’intégrer la section « média » plutôt que la section cinéma, mais elle refuse . « Je ne voyais pas pourquoi quelqu’un de doux ne pouvait pas faire du cinéma mais cela m’a pris très longtemps pour me prouver que j’en étais capable, sans doute beaucoup plus longtemps qu’un homme ».

Réalisatrice ! Elle l’était pourtant depuis longtemps. A 12 ans, en Union Soviétique, elle tourne avec sa copine un film documentaire sur une rivière polluée par une usine et dans laquelle on ne peut plus nager. Elles veulent comprendre ce qui se passe. Anita emprunte la caméra super 8 de son père et elles commencent à interviewer les gens de la ville. Personne n’accepte de répondre aux questions des deux jeunes filles…. sauf ceux qui sortent des bars en ayant trop bu ; cela leur donne le courage de parler!

Au bout de quelques jours de tournage, le député maire leur propose un rendez-vous. Ravies, elles s’y rendent avec leur enregistreur pensant pouvoir l’interviewer lui aussi. mais au lieu de cela, il leur demande très clairement d’arrêter leur film et les menace: si elles continuent, leurs parents seront licenciés.

Désespérée, Anita rentre chez elle. Sa mère la soutient :« t’inquiètes, tu continues quand même ! ». Les deux copines continuent donc leur tournage – personne n’est renvoyé – et envoient leur pellicule à développer au labo…. Mais quand elles récupèrent le film, la pellicule est vierge !

Anita rit « je ne pense pas qu’ils étaient assez organisés pour orchestrer un sabotage. Je pense plutôt que c’est nous qui avons fait une erreur avec la caméra !! ». 

Après l’université, elle réalise plusieurs films, courts et longs, toujours en prises de vues réelles. 

End of Silence - Ekaterina Chelkanova (1)

“The End of Silence”, son 1er long métrage s’inspire de la vie d’une de ses amies, une jeune ballerine qui a quitté le Bolchoï. Le film est un triangle amoureux quasi muet. Tourné en mode “guérilla” – très rapidement dans le Nord dans le froid, avec une toute petite équipe et un tout petit budget – The End of Silence remporte de nombreux prix. 

Vient plus tard, “The Lesser Blessed”, le 1er film qu’elle dit sérieux: l’adaptation d’un roman de Richard Van Camp qui se déroule dans les Territoires du Nord-Ouest Canadien et qui raconte la vie mouvementée d’un jeune amérindien de 17 ans vivant marginalement dans un petit village face à une société aliénée et raciste.   Raconter les gens un peu “différents” passionne Anita.

THE LESSER BLESSED - pendant le tournage 1

 

THE LESSER BLESSED - pendant le tournage 3

 

Aujourd’hui, Anita est pleine de nouveaux projets. 

Elle veut écrire et/ou réaliser des films d’auteurs commerciaux, des films empathiques, qui portent un message et qui touchent le maximum de gens. Elle veut montrer toute la richesse et la diversité de notre monde. Sa motivation, c’est de “montrer que les autres ne sont pas d’autres, que les autres c’est nous ! (…) Dans les films sur lesquels je travaille, que ce soit comme scénariste ou réalisatrice, je veux permettre aux gens de vivre un moment hors du temps, donner un espace d’émotions où l’on se laisse aller ». 

Quand elle écrit, elle ne réfléchit pas trop à son public cible. Elle travaille beaucoup à l’instinct et laisse au producteur·ices le soin de savoir à qui ils veulent s’adresser. 

Elle écrit pour plusieurs sociétés de production et développe des projets plus personnels:. 

D’une part, l’adaptation de “Fairyheart”, un roman hongrois iconique des années 60 qu’elle a lu adolescente. Son auteure, Magda Szabo, était sur une liste noire et n’était autorisée à écrire que des livres pour enfants. “A travers des récits qui semblaient légers, elle traitait en fait de sujets complexes comme celui de vivre dans un monde difficile Elle faisait ressortir le pire comme le meilleur de l’humanité et jouait avec la dualité d’être soit maléfique, soit magique et bienveillant.” Ce sera le 1er film d’animation d’Anita comme réalisatrice. Le film est produit par Mythberg, Lakeside, Humina et Sola Media. Le design des personnages a été créé par Simón Estrada (Rick et Morty, Big Mouth…) aux Etats-Unis et le film sera animé en Hongrie. 

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D’autre part, elle développe un film familial sur Léonard de Vinci, qu’elle souhaite réaliser. Produit par un producteur américain, David Newman (Newmation), le film est en financement et a rencontré de vifs intérêts lors du dernier festival d’Annecy. 

Anita appartient aussi au réseau mondial de conférences TED qui regroupent une communauté de scientifiques, chercheurs, journalistes, politiques… Cela lui a permis de rencontrer et de découvrir des gens incroyables et différents qu’elle n’aurait jamais rencontrés autrement.

Par le biais du storytelling, elle donne plusieurs conférences : à Berlin sur la mémoire, à Los Angeles sur “découvrir le clown qui sommeille en vous” et “ne pas se laisser enfermer dans ce que l’on sait”.

 

Et en dehors de ses 12 vies, Anita aime lire les cartes, celles de l’avenir mais aussi celles des scénarios !

Quand elle écrit, elle questionne parfois le Tarot sur la définition d’un personnage ou juste pour se rassurer et être bien sûre qu’elle a foi en son projet. Rien qu’elle ne sache déjà mais cela “ramène le subconscient à la surface” et cela l’aide dans ses réflexions. 

Anita aime aussi se dire un peu “sorcière”, elle prédit l’avenir autour d’elle. 

Dans le train de retour d’Annecy, c’est mon tour !!

Je ne lis pas l’avenir, ni dans les cartes, ni dans le marc de café mais je lui en prédis un d’avenir: il sera animé, réjouissant et fourmillant!

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