Billet – Table Ronde Quid des garçons – Annecy 2019 – Par Sophie Furlaud

Table ronde CNC / Causette/ LFA :

Quid des garçons

Billet d’humeur.

Cherchez le garçon…

Un peu piquée par l’intitulé de cette table ronde, je décide d’y assister. Je relis ces quelques mots un peu provoc : « Quid des garçons ? » Oui, c’est bien ça : « Quid des garçons ? » Bon…

Direction l’Hôtel Impérial, 3e étage. C’est plein. Je me chante les paroles de Daniel Darc : « Cherchez le garçon, trouvez son nom »… Ceci dit, je ne vois pas beaucoup de garçons dans la file, surtout des filles. Ah si, en voilà un : un festivalier, qui me demande si c’est la bonne salle. « Ouais, je suis curieux, et nous alors, hein ?, rigole-t-il. Pour une fois qu’on parle de nous » Lui aussi, il est piqué. Je souris, et vais m’asseoir. Sur chaque chaise, chouette, un Causette.

Normal, c’est Isabelle Motrot, rédactrice en chef du magazine, qui ouvre le débat : « Quels seront les nouveaux personnages masculins ? Il va falloir, dit-elle, que les personnages masculins se redéfinissent par rapport à cette redistribution des genres… » Vaste programme…

Elle donne le la en lançant la musique d’Un jour mon prince viendra. Voilà d’où on vient : la princesse un peu godiche, qui n’a d’autre initiative que d’attendre son prince charmant. Mais les héroïnes ont beaucoup évolué en quelques années, non ? C’est la question qui est posée à Corinne Kouper (productrice chez Teamto, membre de LFA, et mère de 3 garçons, à l’origine de ce sujet volontairement provoc !) : « A-t-on tourné la page de la redéfinition du féminin pour aborder celle du masculin ? »  NON, répond-elle sans équivoque, le sujet n’est pas réglé : « Les préjugés sont très forts, mais je ne pense pas forcément qu’il faut réagir en les retournant complètement. J’espère qu’on arrivera à une société équilibrée, avec des filles et des garçons sur les écrans et qui auront des choses passionnantes à nous apprendre ! »

 

Antoine Lietout, producteur et cofondateur de Laïdak film, lui, ne ressent pas forcément ce grand mouvement qui a secoué le monde de l’animation. Peut-être parce que sa société est assez jeune et que pour sa génération, tout a été assimilé : « Nous, on a l’impression que tout est équilibré. Et dans les projets que je reçois, d’ailleurs, il y a très peu de personnages principaux masculins. Que des filles ! ». Du coup, Antoine se demande s’il n’y a pas une sorte de crainte aujourd’hui à s’attaquer à des personnages masculins différents.

Eléa Gobbé-Movellec, jeune réalisatrice du long métrage Les Hirondelles de Kaboul, en compétition au festival d’Annecy, ne s’est pas trop non plus posée la question des stéréotypes. Ça lui semble acquis. Elle note simplement une différence dans l’approche de création des personnages, qu’ils soient masculins ou féminins : « Depuis Dexter, on n’hésite plus à travailler nos personnages en anti-héros, pour les rendre plus réalistes, plus justes. Et pour les personnages féminins, on craint moins de montrer nos héroïnes telles qu’elles sont, et on utilise l’animation pour retranscrire ces traits-là, sans caricaturer les filles telles qu’on aimerait les voir. »

 

Je ne résiste pas au plaisir de retranscrire in extenso son témoignage sur la genèse des Hirondelles : « Avec Zabou Breitman, pour élaborer nos personnages masculins, on a travaillé en fonction de l’époque où a été écrit le roman (qui date de 2001) pour l’adapter à notre époque. Dans le caractère de ces hommes, rien n’a changé. Les personnages de l’époque du livre sont les même qu’aujourd’hui, et c’était important pour nous de faire ce film aujourd’hui car l’histoire continue. Travailler le personnage masculin était au cœur de nos préoccupations, il est au cœur de l’intrigue. Quant au regard qu’on a porté sur les femmes, ce n’était pas un regard de juge. C’était difficile de parler à la place de ces femmes, n’ayant pas vécu ce qu’elles ont vécu, mais essayer de partager ce qu’elles ont vécu notamment sur la question physique.  On a travaillé avec des costumes afghans, et on a revêtu la burka pour voir ce que ça fait. Un vrai effet stroboscopique ! On voit mal ! D’ailleurs, c’est pour ça que les femmes se font parfois écraser dans la rue. On voulait montrer cette noirceur et l’oppression que ça peut représenter. »

Chercher le garçon… On a beau parler des garçons. On parle surtout des filles ! Est-ce qu’après Me Too, on continue à dessiner des Betty Boop hyper-féminisées, ou ça a changé quelque chose ? Eléa Gobbé-Movellec trouve qu’« on n’a plus envie de juste esthétiser une pin-up. On a envie de montrer les femmes telles qu’elles sont, avec des poils, de l’embonpoint et des traits rejetés par les codes esthétiques ! ». Et quid des garçons ? « Même combat pour le prince charmant qui doit avoir quelque chose de moins charmant… qui va le rendre encore plus charmant ! »

Sur ce, on lance le teaser de Maman pleut des cordes, un 26’ écrit par Hugo de Faucompret. Ce film d’animation actuellement en développement s’est emparé de ce souci de « dégenrer les clichés » Selon Antoine Liétout, le producteur, il s’agissait « d’écrire un personnage dans lequel le fait d’être une petite fille n’est pas un sujet central. La place du père y est un peu éludée. Et pourtant cette question nous a été beaucoup été posée, beaucoup plus que la dépression de la mère, qui est pourtant le thème primordial » Mais Antoine le répète : « moi je voulais qu’on puisse regarder le film sans se poser la question des genres. »

 

Bon, c’est clair, pour les intervenants, les stéréotypes de genre ont déjà été détricotés. Et il n’y a pas eu besoin d’y apporter une attention particulière ! Mais ce n’est pas l’avis de tous. Particulièrement pour les séries télé. Ainsi, Corinne Kouper raconte qu’elle a pris conscience du sujet tard, en tant que productrice, lorsqu’elle a lancé la série Zoé Kézaco pour TF1, il y a 15 ans. Elle n’aurait jamais pensé que ce personnage de petite fille était innovant.  À l’époque, Il y avait peu de filles sur les écrans. Et, selon elle, les stéréotypes sont toujours bien présents. Elle raconte qu’autour de la table, il n’est pas rare d’entendre qu’un héros masculin ne peut pas être accompagné uniquement de filles. En revanche, si une petite fille est entourée de deux garçons, là, pas de problème, c’est « rassurant ». Et il faut toujours entourer une héroïne de garçons, comme si cela rendait le projet plus « intéressant ». Bref, en télé, il faut qu’il y ait des garçons. « La télé, dit-elle, est vraiment un diffuseur particulier, porteur de stéréotypes, beaucoup plus que le cinéma »

Isabelle Motrot demande aux intervenants s’ils vont « accentuer les prises de positions « genrées » » parce qu’ils savent que leurs films vont être vu par des petits enfants. Corinne Kouper espère qu’on va penser aussi aux garçons, « sinon on va pousser trop fort, et se retrouver de l’autre côté de la barrière. » Il ne faudrait pas dépeindre un monde où les femmes sont aux commandes et les hommes effacés, dit-elle en substance, car ce ne serait pas le reflet de notre société. « Il faut arriver à s’interroger sur ces sujets de manière honnête et équilibrée »

Osman Cerfon, réalisateur et scénariste, arrive, essoufflé, après un sprint entre Bonlieu et l’Impérial. Il doit attraper le train en route. On lance un extrait de son court métrage en compétition, Je sors acheter des cigarettes. Ah, cette fois, on est dans le thème de la conférence ! Son personnage à lui est bien un garçon… Et même un pré ado de 12 ans ! Il joue aux jeux vidéo, mais il fait aussi la vaisselle et sort la poubelle. Un garçon qui fait des tâches ménagères ! Osman ne pense pas l’avoir fait « exprès ». « Moi, j’ai grandi seul avec ma mère, et sans sœur. J’ai été préservé de ces clichés. J’avoue que du coup, je ne me suis pas posé la question ! » Osman joue des clichés et des stéréotypes, mais de manière inconsciente. Son héros garçon, il l’a créé extrêmement sensible : hanté par l’absence paternelle, et plein de compassion pour le chagrin de sa mère. Sans parler d’un passage touchant de son film où on l’on découvre son héros plein d’empathie pour sa sœur qu’un macho délaisse au milieu de la nuit.
Osman ajoute quand même, candidement (et un poil provoc) : « Moi en tant que garçon, c’est plus naturel de créer des personnages garçons ! »

 

 

Et quid des quotas Filles/Garçons, alors ? Antoine Liétout n’est pas contre, même si « dans la création, au début, c’est un effort de s’imposer des personnages auxquels on n’aurait pas pensé spontanément » Mais, selon lui, il ne serait pas si grave de passer par cette étape pour réfléchir à intégrer tel ou tel profil. La diversité viendra plus naturellement après.

Eléa Gobbé-Mévellec est plus mesurée : elle craint que cela puisse porter préjudice aux projets. « Imposer à des histoires tel ou tel nombre de personnages hommes ou femmes, ça me gêne un peu. On crée d’abord une histoire. En revanche, imposer des quotas dans le travail et la parité dans les équipes, ça me paraît une bonne chose ! »

Pour conclure, Corinne Kouper soulève la question LGBT qu’on ne voit pas souvent au ciné, dit-elle, et encore moins dans le dessin animé. Même si ces dernières années, les sélections étaient engagées. On se souvient de la web série The Man Woman Case de Joëlle Oosterlinck et Anaïs Caura, qui racontait l’histoire d’un homme né femme. Elle conclut : les nouvelles générations vont vers plus d’audace. Osman Cerfon, nuancé, précise : « à mon avis, tous ces sujets doivent être disséminés, et pas forcément être le sujet du film, pour ne pas tomber dans le communautarisme »

Et on ne parle toujours pas vraiment des personnages garçons ! Cherchez le garçon… Mais je ne suis pas sûre qu’on l’ait encore trouvé !

 

Sophie Furlaud