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Emilie Tronche « fait son importance »

par Marine Tuloup

 

© “Samuel” – Emilie Tronche – Les valseurs

 

Comment passer à côté du phénomène Émilie Tronche et ne pas se réjouir du succès de la série “Samuel” qu’elle a réalisé? Télérama, Le monde, Brut, le CNC Quotidien, Blink Blank…une pluie d’articles ou de reportages a fleuri ces derniers mois pour raconter la genèse de la série, écouter son autrice raconter avec une fraîcheur intarissable l’Histoire et la fabrication de ce personnage à la ligne claire et épurée qui nous est désormais si familier. Tout a été dit, sous toutes les formes…et pourtant… impossible de ne pas évoquer Emilie Tronche dans notre collection de portraits des Femmes s’animent!

La série “à plus de 36 millions vues” est désormais culte   – un chiffre probablement obsolète le jour où vous lirez ces lignes, longue vie à Samuel !!-

Les épisodes de Samuel se savourent en famille sur grand écran, en solitaire sur téléphone, à tout âge,  à tout moment de la journée, dans les transports en commun, ou sur une balançoire… opérant comme un remède à la morosité, un éclat de joie teinté d’une nostalgie rassérénante. Ne devraient-ils même pas être remboursés par la sécurité sociale?

 

© “Samuel” – Emilie Tronche – Les valseurs

 

« Quand tu étais petite, à Noël tu voulais quoi ? », « C’était quoi ton pull préféré ? ». Enfant, quand Emilie Tronche questionne ses parents de la sorte, elle est souvent déçue par leurs réponses perplexes et détachées. Elle se fait alors la promesse de ne jamais oublier les détails de sa propre enfance. Ces petits détails du quotidien.

A l’école primaire, contrairement à Samuel, Emilie ne tient pas de journal, parce qu’elle n’a « rien à raconter ». Elle se rêve secrétaire “pour taper sur un clavier et bien tourner les pages des classeurs avec de beaux ongles ».  Émilie trouve même un nom pour ça, « Faire son importance », c’est à dire, classer les dossiers et répondre au téléphone de manière “extrêmement professionnelle” !    

« Donc j’allais sur l’ordinateur familial et j’écrivais des textes. Des histoires du genre  une-maman-va-faire-des-courses-et-achète-des-tomates-et-une-commode-en-bois. Au départ, c’était juste pour taper des trucs. Pour le bruit des touches. Et puis au fur et à mesure j’ai commencé à me prendre au jeu, et à vraiment écrire des histoires. »  

A l’école primaire, Emilie prend goût à l’écriture, aux rédactions dans lesquelles elle raconte des histoires qui lui permettent de faire passer des messages, de régler des comptes aussi. Elle lit beaucoup de bandes dessinées. Notamment “Lou” ,« J’aimais cette bande dessinée sur le quotidien, ce côté tranche de vie pour enfants. Je me précipitais dès qu’un nouveau tome était publié. Elle évite ou passe à côté des “Cahiers d’Esther” qu’elle n’a donc jamais lu. “Quelque part je pense que j’avais peur que ça m’influence. »

 

 

© “Samuel” – Emilie Tronche – Les valseurs

 

Emilie a toujours aimé dessiner. A l’école, elle est « la fille qui dessine bien ». Mais son aura s’étiole au collège, car elle ne dessine pas de mangas. «     De toutes façons, je ne me voyais pas faire du dessin mon métier » dit-elle d’un ton détaché aux accents de Samuel.

Le “truc” d’Emilie Tronche, c’est la danse, depuis toujours, comme peuvent en attester les vidéos de référence dans lesquelles Emilie s’est filmée pour préparer le storyboard et l’animation de Samuel. Elle travaille ses animatiques avec une vision toujours très précise du rythme et de la gestuelle, comme des chorégraphies. 

« Ma porte d’entrée vers la danse c’est la Gymnastique Rythmique (GR) – comme dans « Cynthia ou le rythme de la vie» (série TV adaptée du manga de Izumi Asō). J’ai pratiqué de 4 à 13 ans, 12 heures par semaine. Je passais mon temps en compétition. J’ai participé aux championnats de France. C’était toute ma vie. Mais j’ai décroché à partir du collège parce que j’avais envie d’un truc plus créatif et dansant. Je me suis donc dirigée vers la danse classique, que j’ai trouvée un peu ennuyeuse. Et puis, j’ai découvert le modern Jazz que j’ai vraiment adoré! Aujourd’hui, je fais de la danse contemporaine. En fait, j’ai toujours pratiqué la danse, ça a toujours fait partie de ma vie, et ce celles de mes sœurs aussi!”

Emilie est la deuxième d’une brochette de 3 sœurs. « On a 2 ans d’écart, on se ressemble beaucoup et on est très attachées à notre enfance. On a grandi en banlieue parisienne, dans le quartier résidentiel d’une petite ville. C’était un endroit calme et agréable, on était paisibles”. Elle s’inspire largement de ce quartier pour l’environnement de Samuel, dont la maison, l’école et la désormais célèbre “descente de la mort” ressemblent en tous points à celles de son enfance,

L’attrait d’Emilie pour l’école primaire est sans doute une histoire de famille “Ma mère est devenue maîtresse quand je suis entrée en CM2, et aujourd’hui l’une de mes sœurs l’est aussi devenue”. 

Emilie ne revendique pas la nostalgie, mais une simple envie de mettre en valeur le passé. “Quand j’ai imaginé le court métrage à l’origine de “Samuel”, je sortais d’une période difficile, j’avais besoin de revenir à un truc qui me faisait du bien, de revenir à l’essentiel. Raconter une histoire d’amour et aussi peut-être dire au revoir à l’enfance. Ou, mieux encore, lui trouver une place! ».

 

 

 

© “Samuel” – Emilie Tronche – Les valseurs

Elle est alors loin d’imaginer l’engouement que son projet va susciter, et ne se fait d’ailleurs toujours pas vraiment à l’idée de ce succès monumental. « C’est marrant, j’ai souvent entendu des jeunes femmes parler du syndrome de l’imposteur et je commence à l’expérimenter à mon tour. Maintenant je les comprends mieux. Je trouve que je n’ai rien fait d’exceptionnel.  Au début de la diffusion de Samuel, j’ai commencé à répondre aux gens sur les réseaux sociaux mais ça m’a dépassée…impossible de répondre à tout le monde. C’est fabuleux mais quelque part, c’est un peu trop. Moi, j’ai envie de faire des choses banales et …de promener mon chien”  (rires).      

Emilie continue à se raconter des histoires de Samuel. 

Qui sait si Samuel ne deviendra pas son Antoine Doisnel à elle, pour notre plus grand bonheur? Elle a aussi beaucoup d’autres pistes en tête, des histoires d’adolescents, des comédies, l’adaptation d’un roman… Et pourquoi pas un jour s’intéresser à la prise de vue réelle? L’idée de sortir de son travail assez solitaire enthousiasme Emilie, bien qu’elle redoute la confrontation à la direction d’acteurs. 

Le champ des possibles est immense, et on a hâte de connaître le prochain chapitre de l’histoire! 

Émilie Tronche, réalisatrice – par Marine Tuloup